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Le parti libéral, venant, lui aussi, à son heure, a rempli son rôle, qui était de moderniser la monarchie et presque de la démocratiser, à cause des origines de la plupart de ses membres, des origines de M. Sagasta, parti des confins de la république et autrefois « conspirateur contre le trône d’Isabelle II », ainsi qu’on ne lui permettait pas de l’oublier. Et de la sorte, harcelé par ses anciens amis ou ses anciens alliés, qui reprenaient article par article son programme et le sommaient de faire, comme ministre, ce qu’il avait demandé ou promis comme député, M. Sagasta modernisait et démocratisait la monarchie et faisait courir une sève jeune et fraîche dans les vieilles racines que M. Canovas avait renouées.

Ses adversaires intransigeans se voyaient peu à peu désarmés et réduits par leurs victoires mêmes : chaque fois que le gouvernement cédait sur telle ou telle de leurs revendications, il leur enlevait une raison d’être. A mesure que la monarchie changeait ses institutions de jadis, — ses « institutions pharaoniques », comme les appelait M. Castelar, — contre d’autres institutions, vraiment libérales et modernes, c’était, comme le disait encore M. Castelar, la révolution qui devenait « archéologique », qui se voyait reléguer dans le passé, avec ses procédés connus et le plus usité de tous : l’abstention érigée en système. La Restauration se développait et croissait tout ensemble, directement, par une poussée interne, d’une manière organique, pour ainsi dire, et indirectement, sous la pression extérieure des partis d’opposition. C’est en quoi il n’est pas trop paradoxal d’avancer que certains républicains, M. Castelar notamment, ont été, sans le vouloir, des auxiliaires utiles pour la monarchie restaurée.

Mais cette monarchie, modernisée et démocratisée, rien ne l’a servie, après l’initiative des libéraux, autant que la « modération » des conservateurs, la modération que M. Canovas recommandait aux partis, comme une vertu cardinale de la politique. Ce n’est point que les conservateurs ni leur chef lui-même acceptassent de gaieté de cœur toutes les réformes, toutes les innovations proposées par les libéraux ; mais parmi elles, il en était quelques-unes dont ils n’avaient pu ni voulu se charger et que néanmoins ils n’étaient pas, dans le fond, fâchés de voir faire par d’autres, ne les combattant que mollement.

Quant aux réformes, aux innovations plus radicales, auxquelles.

    et nous avons d’autant moins de scrupules à le faire que ce sont moins, en réalité, des partis que des groupes, séparés seulement par des divergences de détail ou des ambitions personnelles. Au fond, il n’y a, dans le Parlement espagnol que quatre partis : deux partis constitutionnels, les libéraux et les conservateurs, et deux partis extra-constitutionnels, les républicains et les carlistes.