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en passant, amusé dans le roman et dans la poésie[1], mais toujours, c’est l’homme d’Etat qui tenait la plume et il n’a écrit que pour agir. L’homme de solitude se plaît dans sa belle bibliothèque et dans ses beaux jardins de la Huerta, au milieu de ses bronzes grecs, tout au bout de la ville, en son ermitage doré ; mais l’homme d’assemblée résiste, discute et, l’après-midi, l’arrache au repos des livres et l’emmène au Congrès.

L’homme de réflexion se prend, un jour, à méditer sur le problème moral et le problème religieux, mais l’homme de gouvernement survient et spécifie : par rapport à la politique. M. Canovas veut approfondir et commente toutes les théories sur l’Etat, sur les devoirs et les droits, sur les fonctions et les limites de l’Etat, mais c’est l’homme d’action plus que l’homme de spéculation qui s’y applique. Il rencontre, chemin faisant, les systèmes ennemis du libre-échange et de la protection, et il les départage, comme un homme qui ne raisonne pas pour le plaisir de raisonner et ne voit dans la statistique qu’un outil de gouvernement. En lui s’allient, se marient, se fécondent mutuellement l’extrême étendue et l’extrême précision de l’intelligence; le vol de sa pensée est retenu et soutenu, comme par un fil, par un sens pratique éminent.

Il a dressé la carte du royaume des idées et il la possède aussi bien que la carte des partis dans le Parlement espagnol. La politique est, pour lui, ce qui est par excellence et il y rapporte tout le reste. Il est tout pour être un homme politique, il n’est rien que pour être un homme politique. Il est né homme d’Etat et président du conseil des ministres : il l’était en germe et en devenir, par vocation et prédestination et, ne pouvant pas l’être en fait sous le régime où vivait l’Espagne, il a fait à l’Espagne un régime où il pouvait et devait l’être.

L’historien qui était en M. Canovas avait révélé de longtemps à l’homme d’Etat qu’il était que la monarchie était la forme de gouvernement adéquate aux traditions et aux conditions, au passé et au génie de l’Espagne; le philosophe avait appris à l’homme d’Etat que la monarchie qu’il fallait à l’Espagne était une monarchie nationale; l’observateur attentif de tous les phénomènes politiques et sociaux avait de plus en plus persuadé l’homme d’Etat que cette monarchie restaurée serait moderne, libérale, démocratique même, ou qu’elle ne serait pas. Quelque conservateur qu’il fût, il n’avait pas cherché à éluder cette dernière obligation plus

  1. Don Antonio Canovas del Castillo, Obras, Coleccion de escritores castellanos. — Estudios del reinado de Felipe IV, 2 vol. — « et Solitario » y su tiempo (Serafin Estebanez Calderon), 2 vol. — Problemas contemporaneos, 3 vol. — Obras poeticas, 1 vol. — La Campana de Huesca, 1 vol., etc.