Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/623

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La monarchie ne s’est point rejetée en arrière ; elle a établi le jury et le suffrage universel, et, par ces deux réformes, elle s’est faite démocratique, et, par ces deux réformes, elle est devenue la formule de cette génération, et, par ces deux réformes, s’est achevée la transformation de la monarchie, transformant logiquement le républicanisme de M. Castelar, ne le détruisant pas, l’obligeant à la retraite et au silence. Ceux qui, même à présent, « doutent de ce républicanisme, l’injurient et le calomnient » ; ceux qui, dans le camp conservateur, méconnaissent le réel service que sa loyauté a rendu à la monarchie, ferment volontairement les yeux à l’évidence.

C’est peut-être M. Castelar qui, après M. Canovas del Castillo, a le plus fait pour la monarchie restaurée, non pas en lui décernant à la fin un certificat de libéralisme et de démocratie, mais en la forçant à le gagner, en la poussant, en la tenant en haleine, en lui plaçant, sans déguisement, sous les yeux, son image à elle et l’image du monde moderne. D’avoir ainsi servi la monarchie, c’est à la fois ce que ne lui pardonnent pas les républicains et ce dont les conservateurs ne lui savent nul gré, si tant est qu’ils ne lui en veuillent. Mais la colère des républicains se conçoit mieux que le dédain des conservateurs, car c’est toujours un grand tort que d’avoir raison contre ses amis, pour ses adversaires.

La faute n’en est pas, cependant, à M. Castelar. Il avait prévenu les uns et les autres. La monarchie, somme toute, pour « être la formule de cette génération » en Espagne, n’a eu sur la république qu’une seule supériorité : elle a su se faire, alors que la république ne le savait pas, opportuniste dans le bon sens du mot.


IV

Elle a su se faire opportuniste, et c’est, en même temps que sa supériorité sur la république manquée de 1873 et 1874, une des raisons de son succès. L’opportunisme, pour la monarchie restaurée, consistait à se faire libérale et même un peu démocratique, ainsi qu’il eût, en 1873 et 1874, consisté pour la République à se faire conservatrice. Le succès de la Restauration peut avoir d’autres causes, mais celle-là est de beaucoup la principale. La Restauration a réussi, en premier lieu, parce qu’elle rendait à l’Espagne la monarchie ; ensuite, parce que la monarchie qu’elle ramenait était une monarchie nationale ; troisièmement, et surtout, parce que cette monarchie a su être moderne.

L’Espagne est, en effet, demeurée monarchiste, dans ses masses profondes ; elle l’était plus que jamais en 1874, au sortir de tant de misères et de tant d’insanités, et lorsque ce sentiment unique,