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au pas tranquille de son âne, qu’il a peiné quinze heures et qu’il a gagné quinze sous, et que la terre de M. le duc est bien grande ; mais le grison qu’il monte est arrière-cousin de celui de Sancho Pança ; lui-même se contente de peu, mange une croûte de pain et boit un verre d’eau fraîche, et c’est pourquoi l’Espagne n’a pas à craindre une jacquerie, pourquoi le socialisme agraire, fruit naturel des latifundia, n’y arrive point à maturité.

L’autre socialisme, le socialisme des villes, n’y exerce pas plus de ravages que chez les autres races, latines ou germaniques ; l’anarchisme même, quoiqu’il semble avoir choisi Barcelone pour place de refuge, n’ose pas donner l’assaut à cette citadelle de Montjuich, qui ne rend pas ses prisonniers. En somme, la propriété et le travail sont garantis ; on n’arrête plus ou presque plus les trains, sur les lignes les moins fréquentées : il sera bientôt superflu d’y faire monter les deux gendarmes réglementaires. On peut aller de Madrid à Séville sans craindre d’être dévalisé au défilé de Despeña-Perros, et de Burgos à Cadix ou de Badajoz à Valence, traverser toute l’Espagne dans tous les sens, sans payer de tribut qui ne soit légal. A plus forte raison vers le centre : on ne vole plus, ou presque plus, près du pont de Tolède, et personne ne fait plus chez lui la guerre au roi d’Espagne.

Vingt ans d’une paix complète et telle que ce pays l’avait rarement connue, telle, en tout cas, qu’il ne la connaissait plus : paix intérieure et extérieure, paix civile et religieuse, paix des esprits et des consciences. Une société qui s’est rassise et où le classement nécessaire s’est refait. Une nation qui a ressaisi son âme et resserré son corps de nation. Un État qui s’est réorganisé, au point de se renouveler. Un gouvernement qui a figure, et qui même, dans des circonstances critiques, a su avoir grande figure de gouvernement. Un peuple pour qui se sont rouvertes les portes du tombeau, et qui, aux prises, comme d’autres et plus que d’autres peut-être, avec les difficultés de la vie, ne se sent pourtant plus écrasé sous l’impossibilité de vivre.

Et non seulement, ces vingt ans écoulés, l’Espagne s’est pacifiée et réunifiée ; elle s’est aussi modernisée ; non seulement elle a ressuscité, mais, depuis le jour de sa renaissance, elle est allée se rajeunissant. Charles IV, Ferdinand VII, Marie-Christine, Isabelle elle-même ne reconnaîtraient plus leur Espagne, et don Carlos, s’il est logique, ne la recevrait qu’à merci.

L’Espagne ! qui la reconnaîtrait et qui reconnaîtrait la vieille monarchie espagnole, l’une et l’autre drapées encore dans une cape antique, mais raccommodée, consolidée avec l’étoffe la plus forte dont les rois puissent se vêtir désormais, avec la liberté ?