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manquent de lui donner les moyens d’arriver au mieux. Du jour où l’école produit d’excellens copistes de tableaux anciens au lieu de produire des créateurs, elle est dans le faux. Quand elle enseigne l’escamotage des difficultés au lieu d’apprendre à leur livrer bataille, elle perd sa raison d’être. Atteindre des transparences en peignant sur du bitume, c’est plus aisé que de les réaliser par de simples appositions de couleurs solides ; demander son effet à l’opposition factice d’un premier plan noir et d’un second plan lumineux, c’est plus facile que de l’obtenir d’un juste rapport de tons, mais cet effet est d’une qualité moindre et cette transparence est un péril pour l’avenir. Le bitume dont Haydon frottait consciencieusement ses toiles avant de peindre, sans doute pour obtenir cette subdued colour que les Anglais prisent tant depuis Reynolds, ces larges plaques de noir que les académiciens mettaient dans leurs compositions pour repousser au bon endroit la lumière, voilà des traditions qu’il fallait rompre, coûte que coûte. Les pré-raphaélites, en adoptant pour tout dessous une toile blanche et pour tout système d’éclairage « le système du soleil », comme disait Ruskin, — c’est-à-dire le plein air sans aucun parti-pris, — ont peut-être dépassé la mesure, mais ils ont sauvé la peinture anglaise. Lorsqu’on examine les tableaux pré-raphaélites des premiers jours, le Festin d’Isabelle de Millais par exemple, on est stupéfait des découvertes naturalistes et même impressionnistes auxquelles ce peintre de vingt ans, grâce à la finesse de son œil, est parvenu. Il n’y a là aucune ombre diffuse sans points clairs, sans reflets des objets lumineux ambians. Il y a d’imperceptibles lueurs jusque dans les ombres portées, ombres des narines dans la figure de Lorenzo, des bandeaux de cheveux dans la figure d’Isabelle, et cette dispersion continuelle de l’effet donne à la peinture la plus sèche le papillotement de la lumière et la mobilité de la vie. C’est clair et joyeux, en regard des meilleures toiles académiques de 4849. La même qualité, quoique à un degré moindre, se voit dans les tableaux de M. Hunt : pas un repoussoir, pas un parti pris d’ombre, pas une combinaison d’écran ou de soupirail. Partout où le peintre a vu de la lumière, il en a mis, jusque dans la petite main de l’enfant à genoux qui tient un chasse-mouches dans le tableau de Jésus trouvé au Temple. Cette recherche laborieuse, infatigable, exaspérée des effets multiples du soleil, de ses coups, de ses contre-coups, de ses pleins et de ses déliés, de ses arpèges et de ses trilles, de ses inondations et de ses infiltrations, de ses mille reflets et contre-reflets, sans choix, sans plan d’ensemble, déconcerte au premier abord et irrite comme ces histoires de méchantes fées obligeant une pauvre fille à