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claire de l’école de Phidias ou de l’art des Pharaons que de la peinture anglaise, — qui est à deux heures de la France et qui est vivante.

Il est temps cependant de connaître cet art voisin et ignoré, car si les artistes anglais ne viennent guère chez nous, les nôtres commencent à aller chez eux et le charme de l’inconnu opère plus sûrement que ne le ferait l’étalage de la publicité. L’éloignement, la traversée qui n’est pas, pour beaucoup de Français, sans quelque pénible appréhension, la difficulté de voir les toiles des maîtres contemporains qui ne se trouvent dans presque aucun musée de Londres, mais appartiennent à des musées de province ou à des collections particulières, les portes à forcer, les démarches à faire, tout cela environne les œuvres de nos voisins d’une auréole qu’elles n’auraient point si elles étaient à côté de nos chefs-d’œuvre du Louvre, visibles pour tout venant. En esthétisme comme en amour, les barrières sont des aimans, les obstacles attirent. Depuis longtemps, dans les cénacles symbolistes, on entend prononcer avec recueillement les noms de Watts et de Burne-Jones, et beaucoup les acceptent et se les transmettent comme on fait d’un vocable magique, dont la vertu dispense de tout éclaircissement. Mais certains artistes, eux, ont regardé les œuvres ; ils s’en sont imprégnés et tout jeune peintre qui quitte Calais pour Douvres peut répéter ces mots de Gustave Doré : « Quelque chose me dit que, si je vais en Angleterre, je romprai bien des liens avec ma patrie. » Déjà l’on voit, — soit dans des œuvres séparées, comme celle de M. Tissot, soit dans les petites expositions des groupes symbolistes, — que ces novateurs n’ont pas dédaigné de puiser certaines inspirations chez les maîtres anglais. Le grand artiste dont les symbolistes se réclament, d’ailleurs indûment, M. Puvis de Chavannes, a, par sa manière de composer, certaines analogies avec les pré-raphaélites. Il n’est guère de Français allant à Londres qui n’ait fait de lui-même cette remarque, et il n’y a guère d’amateur anglais qui n’ait sur la conscience d’avoir appelé le maître de l’Enfance de Sainte Geneviève, « le Burne-Jones français ». D’autre part, il ne faudrait pas beaucoup chercher pour découvrir dans le procédé de nos pointillistes un souvenir de Turner et même de Watts. Ainsi, que l’on étudie l’une ou l’autre des deux tendances les plus nouvelles qui entraînent les jeunes hors des voies de l’école : l’art littéraire ou symboliste d’un côté, l’art de pur procédé de l’autre, on voit, sinon qu’elles se rattachent, tout au moins qu’elles ressemblent étonnamment à la peinture anglaise contemporaine. Il est donc utile de dire aujourd’hui quel est cet art, comment il est né ; — quels sont actuellement ses principaux maîtres et ses grandes œuvres, en quoi consiste son originalité