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et très usée, qu’ils se sont contentés de décorer, pour la rajeunir, d’ornemens d’un goût prétendu scientifique, que Darwin lui-même trouverait très douteux.

En faisant prendre l’Evolution pour le Progrès, ils espèrent trouver des complices inconsciens et faire triompher petit à petit, en marchant à pas comptés mais sans jamais reculer, la doctrine du bouleversement universel, terme sans lendemain de toute leur philosophie économique.

Les vrais socialistes, les révolutionnaires sans merci, ne sont effectivement pas pressés ; ils se contentent de désorganiser lentement la société moderne, convaincus que, par des destructions successives, dans lesquelles ils ont le talent de se faire aider par les radicaux et les innocens, ils préparent l’avènement de cette société mal définie, ou plutôt qui n’est pas définie du tout, par laquelle ils prétendent remplacer la société actuelle.

Leur doctrine économique et financière, on le sait, n’est autre chose que la nationalisation ou la mise en commun de la terre et des capitaux existans, nationalisation nécessaire et inévitable suivant eux pour mettre les outils du travail et les instrumens de la production — c’est-à-dire la terre et les capitaux immobilisés ou non — à la disposition de tout le monde.

L’idée d’une destruction lente de tout ce qui existe en vue d’un renouvellement du monde économique et moral est très nettement et très clairement exprimée dans le programme d’une grande association anglaise connue sous le nom de Société Fabienne, parce qu’elle s’est placée sous l’invocation de Fabius Cunctator. Les socialistes français ne renieront pas ce programme, qui est le leur aussi bien que celui de leurs coreligionnaires anglais.

« Pour le moment, lit-on en tête des publications de la Société Fabienne, vous devez temporiser avec cette inébranlable patience que Fabius a montrée dans sa guerre contre Annibal, n’ayant aucun souci de ceux qui blâmaient sa lenteur. Mais quand le moment sera venu, vous devrez frapper fort, toujours comme l’a fait Fabius, sans quoi votre patience aura été vaine et restera sans fruit. » — « L’association se compose de socialistes qui tendent à la réorganisation de la société par l’émancipation de la terre et des capitaux industriels, qu’il faut retirer des mains des propriétaires et des individus, afin de les mettre à la disposition de la communauté pour le profit général. »

On ne saurait dire avec plus de précision et plus d’audace ce que pensent et ce que veulent les socialistes de tous les pays.

Pour obtenir des alliés dans leur campagne de destruction graduelle et systématique de la société, les socialistes font appel à