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n’avons éprouvé personnellement aucune mauvaise humeur de son occupation par les Italiens, et si aujourd’hui le gouvernement du roi Humbert se demandait en toute sincérité de conscience laquelle, de la France ou de l’Angleterre, en a pris le plus sincèrement son parti, ce n’est probablement pas la dernière qu’il devrait désigner.

Avons-nous besoin de montrer l’invraisemblance ridicule, il faut dire le mot, des projets qu’on nous attribue ? S’il y a deux pays au monde où nous soyons partisans résolus du statu quo, ce sont assurément la Tripolitaine et encore plus le Maroc. Nous vivons en parfaite intelligence avec les autorités régulières de Tripoli, et jamais il ne viendra à notre pensée de tenter quoi que ce soit sur une province qui fait partie intégrante de l’Empire Ottoman, et où nous n’avons d’ailleurs aucun intérêt particulier. La Tripolitaine n’est pas le moins du monde à l’égard de la Tunisie ce que la Tunisie était à l’égard de l’Algérie. C’est une région à part, qui est géographiquement séparée de la Régence, et sur laquelle un gouvernement français ne pourrait avoir des vues d’ingérence ou de domination sans une coupable folie. Le maintien de nos bons rapports avec le Sultan nous touche infiniment plus que toute la Tripolitaine : on le sait, au surplus, à Constantinople, et les dénonciations italiennes y trouvent certainement peu d’écho. Elles pourraient tout au plus inspirer des soupçons sur les velléités des dénonciateurs. Quant au Maroc, des circonstances récentes nous ont permis de prouver à toute l’Europe, et à l’Espagne en particulier, que notre politique y était purement conservatrice. Ce serait un grand malheur pour tout le monde si la question marocaine venait tout d’un coup à s’ouvrir. Dieu nous préserve de cette éventualité ! Nous avons assez d’affaires sur les bras sans en faire surgir de nouvelles, plus difficiles, et plus inextricables encore. Cette politique convient peut-être au cabinet de Rome, mais non pas à nous, et c’est encore un point sur lequel on ne réussira pas à donner le change.

Que veut donc l’Italie, et quel but poursuit-elle en ce moment ? On a dit qu’elle avait fait des suggestions à l’Angleterre pour diverses hypothèses, et notamment au sujet du Haut-Nil et de la Tripolitaine. Pour ce qui est du Haut-Nil, la situation qui y existe est en pleine évolution, et il est possible en effet que l’Italie ait un rôle à y jouer. La pointe hardie qu’elle vient de pousser jusqu’à Kassala est probablement l’indice de projets plus étendus. Que nous importe ? Nous avons déjà déclaré que, tout en réservant pour le règlement final les droits de l’Egypte et de la Porte, nous n’avions aucune opposition à y faire. Quant à la Tripolitaine, il est peu probable que l’Angleterre voie l’Italie s’y établir avec beaucoup de satisfaction. En tout cas, cet établissement coûterait fort cher et prendrait longtemps pour devenir solide. A force de parler des projets de la France sur Tripoli, les Italien ont inspiré sur leur propre compte des méfiances assez natu-