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A supposer que M. Crispi eût une intention définie, un projet d’action immédiate sur quelque point du monde, on aurait en ce moment quelque peine à deviner exactement ce qu’est cette intention et où est ce point. La première idée qui s’offre à l’esprit est qu’il veut aller lui-même à l’endroit qu’il nous reproche de viser ; mais il nous reproche de viser tout en même temps, et, quelle que soit son imagination, nous ne lui faisons pas l’injustice de croire qu’il nourrisse et prépare à la fois autant de projets qu’il nous en prête. En vérité, ce serait trop ! Pour aller de l’Orient à l’Occident, la presse italienne signale l’activité inquiétante de la France en Abyssinie, en Égypte, en Tripolitaine et au Maroc. Elle est remplie de correspondances, venues de toutes ces contrées, et qui nous présentent comme prêts à une action imminente. C’est bien mal reconnaître, il faut l’avouer, l’attitude que nous avons toujours eue à l’égard de l’Italie dans ses entreprises coloniales, sauf en Tunisie. Là, nous étions condamnés à agir. Il nous était impossible de laisser une puissance européenne s’établir dans une contrée qui fait géographiquement partie de l’Algérie. C’est bien assez pour nous d’avoir l’Italie pour proche voisine en Europe, sans nous la donner pour telle en Afrique. Aussi longtemps qu’elle a respecté l’autonomie de la Tunisie, nous l’avons respectée nous-mêmes ; le gouvernement du bey ne nous gênait en rien ; mais le jour où le cabinet de Rome a manifesté de la manière la moins douteuse la résolution de mettre sa main sur la Régence, l’obligation de le devancer s’est imposée à la France. Nous aurions préféré que cette question ne fût pas posée : une fois posée, — et elle ne l’a pas été par nous, — nous devions la résoudre. On nous reproche assez, en Italie, la manière dont nous l’avons fait ! La Tunisie est le grief éternel contre la France ! Soit ; mais il serait juste de montrer aussi la contre-partie. Est-ce que, dans les entreprises qu’elle a tentées ailleurs depuis lors, l’Italie nous a jamais trouvés comme un embarras ou comme un obstacle devant elle ? Est-ce que nous avons jamais mis le moindre empêchement à ses succès ? Nous avions des intérêts et des traditions dans la mer Rouge : lorsque nous avons vu que l’Italie portait de ce côté son effort principal, nous nous sommes discrètement effacés devant elle, en lui laissant le terrain libre. Il nous aurait été certainement facile de lui créer des difficultés : nous n’y avons même pas songé. S’il lui avait plu de tourner son action d’un autre côté, elle aurait trouvé de notre part les mêmes dispositions. Nous ne l’avons jamais chicanée sur ce qu’elle faisait ; mais il est vraiment excessif qu’elle semble nous en vouloir de ce qu’elle n’a pas fait, comme si c’était notre faute. Hier encore, le général Baratieri s’emparait de Kassala, et la presse anglaise nous a accusés d’avoir vu ce brillant fait d’armes avec un peu plus que de la froideur. Rien n’est plus inexact. La vérité est que, fidèles à l’ensemble de notre politique, nous avons dû rappeler les droits de l’Égypte et de la Porte sur Kassala ; mais nous