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le principal intéressé dans cette affaire, puisqu’il s’agit d’un établissement dépendant de lui, il n’est jamais sorti de sa quiétude, laissant à la préfecture de la Seine le soin de se débrouiller avec le Conseil général. Ce qui est grave et alarmant, c’est cette défaillance générale, cette abstention, ces complaisances, ces velléités suivies de reculades de la part de ceux qui ont charge d’âmes et responsabilité morale. Il a fallu qu’un journal bien inspiré, ayant entendu parler de ce qui se passait à Cempuis, allât y faire une enquête pour le compte de ses lecteurs. Ce journal a rendu un grand service. Dès son premier article la question a changé de face ; l’opinion s’est émue ; tous les autres journaux ont voulu savoir ce qui se passait à Cempuis, et ils n’ont pas eu de peine à l’apprendre. Oh ! alors, le gouvernement est sorti de son impassibilité olympienne. Une enquête, sérieuse cette fois, a été faite. Elle n’a pas été longue, et elle a été probante. M. Robin a été révoqué. Mieux vaut tard que jamais sans doute ; mais il faut bien constater que, sans l’initiative d’un journal en quête de nouvelles, le scandale de Cempuis continuerait encore, et pourrait durer longtemps. La presse a déjà, sans qu’il y ait lieu de l’y encourager, une assez grande propension à se substituer à tous les pouvoirs ; mais lorsque ceux-ci ne remplissent pas leur rôle, n’est-il pas naturel que d’autres s’en emparent ? Seulement, ce n’est pas rassurant.

L’affaire de Cempuis a eu un épilogue qui n’en est pas la partie la moins curieuse. M. le préfet de la Seine a chargé un de ses chefs de division d’aller notifier sa révocation à M. Robin. Après s’être acquitté de la partie pénible de sa tâche, ce fonctionnaire a voulu en adoucir, au moins pour lui, l’amertume : il est allé voir les enfans et leur a tenu un discours. On aurait cru à l’entendre que M. Babut, c’est son nom, avait été envoyé à Cempuis pour y distribuer des prix de vertu à tout le monde. « Rien ne sera changé à votre sort, a-t-il dit aux élèves de M. Robin. Vous savez que les circonstances ont fait parler beaucoup de vous dans ces derniers temps : vous êtes devenus célèbres. Si l’on a dit de vous du mal qui est une calomnie, on a dit plus encore de bien. On a répandu votre réputation de bons enfans, de bons patriotes, de futures honnêtes et bonnes mères de famille… Nous sommes heureux de voir que vous ressentez une reconnaissance profonde pour l’homme qui a tant travaillé à faire votre bonheur. Vous ne faites pas de politique, vous autres ! » Il semble que M. Babut en fasse, lui, et de la plus mauvaise. Bien que l’opinion, dans sa généralité, ait non seulement approuvé, mais même imposé la révocation du directeur de Cempuis, les radicaux en ont témoigné un vif mécontentement. Ils se sont efforcés de donner le change et de faire croire que M. Robin avait été la victime de la réaction cléricale qui est, comme on le sait, la marque caractéristique du gouvernement actuel. « Cherchez le prêtre, » a dit l’un d’eux. Il faut donc croire que M. Babut appartient à l’opinion