feront ses pupilles si, astreints comme tout le monde au service militaire, la guerre vient à éclater pendant qu’ils seront sous les drapeaux, il répond sans hésiter : « Eh bien ! ils se débrouilleront, ils déserteront. » Peu d’hommes en France seraient capables d’une pareille franchise : sérieusement, nous sommes tenté de remercier M. Robin. Il est admirable en son genre à force d’être complet. Il a vraiment le courage de ses idées, et il en faut beaucoup pour avouer des idées pareilles : il en faut peut-être plus que pour les appliquer. Après tout, M. Robin est ce qu’il est, et ce n’est pas à lui que nous en avons : ce qui est effrayant c’est qu’il ait pu rester pendant de si longues années à la tête de l’orphelinat Prévost sans être inquiété dans son enseignement. Le désordre administratif le plus complet régnait d’ailleurs autour de lui. Le recrutement du personnel se faisait de la manière la plus fantaisiste. Tous les déclassés, tous les révoqués, tous les fruits secs trouvaient un asile à Cempuis, avec cette circonstance aggravante que M. Robin les empruntait indifféremment aux nationalités les plus diverses, prussienne, italienne, anglaise, etc. Comment ce scandale a-t-il pu se prolonger aussi longtemps, presque aux portes de Paris, sans que le gouvernement y portât les yeux et y mît la main ? S’il l’avait complètement ignoré, ce serait déjà grave ; mais il y a pis. Toute la contrée autour de Cempuis parlait avec horreur de ce qui s’y passait ; l’indignation était générale, et à maintes reprises les faits les plus graves ont été signalés à l’attention des autorités responsables. Qu’ont-elles fait ? Rien. M. Robin avait la confiance du Conseil général de la Seine, c’est-à-dire du Conseil municipal de Pays : cela a suffi pour détourner de sa tête tous les dangers administratifs. Une première fois menacé, révoqué même, dit-on, en 1884, il a été réintégré dans ses fonctions. On a cité l’opinion contraire à cette réintégration que M. Léon Bourgeois. alors secrétaire général de la préfecture de la Seine, avait soutenue dans la commission de surveillance chargée des établissemens départementaux. « Si je m’interroge comme père de famille, disait alors M. Bourgeois, et si je me demande si je confierais mes enfans à M. Robin, je me vois obligé de répondre : Non ! » Cela fait honneur à M. Bourgeois ; mais ce qui lui aurait fait bien plus d’honneur encore, c’est, plus tard, lorsqu’il a été ministre de l’Instruction publique, de se rappeler une situation qu’il avait connue, jugée, condamnée, et d’y porter remède. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? A un moment, une enquête a été ordonnée : elle a été faite par Mme Kergomard, que l’on dit être une personne très distinguée, mais qui, proche parente de M. Elisée Reclus, devrait être employée de préférence dans des occasions où son jugement conserverait toute son autorité. Mme Kergomard a conclu que tout était pour le mieux dans le meilleur des orphelinats possibles, et l’administration universitaire, désormais rassurée, a laissé les choses en l’état. Quant au ministère de l’Intérieur, qui est
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