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les chefs-d’œuvre définitifs, en unissant dans un parfait ensemble le dessin de Raphaël et le clair-obscur de Corrège.

A douze ans, son père le conduisit à Rome, où, le jugeant trop jeune encore pour pouvoir comprendre Raphaël, il lui fit copier tour à tour les fresques de Michel-Ange et les antiques du Belvédère. Il l’emmenait dès l’aube devant ces modèles, l’y retenait jusqu’au soir, lui donnant à manger, de temps à autre, du pain et des fruits.

Ce premier séjour du petit Raphaël à Rome dura trois ans, après lesquels le père ramena son fils en Allemagne. Et dès leur retour, la gloire de Mengs commença. L’enfant eut à peindre au pastel les portraits de tous les grands personnages de Dresde, depuis les princes de la famille royale jusqu’aux chanteurs de l’Opéra. A seize ans, il était déjà connu dans toute l’Allemagne comme le prochain rénovateur de la peinture. A dix-sept ans, il recevait le titre de peintre ordinaire du roi.

Mais son père était toujours auprès de lui, veillant sur son génie avec une sollicitude acharnée. Il n’avait point mis au monde ce fils, il ne l’avait point nommé des noms de Corrège et de Raphaël, pour en faire un simple peintre de portraits, un imitateur servile de la nature ! L’éducation du jeune homme n’était pas finie ! Il avait à connaître ceux qu’il était appelé à détrôner, Raphaël et Corrège ! En 1746, toute la famille repartit pour l’Italie, augmentée cette fois d’un membre nouveau ; c’était la gouvernante d’Ismaël Mengs, Catherine Nutzschnerin, une grosse Saxonne dont le vieux peintre avait fait sa maîtresse, après la mort de Charlotte Bormann.

On s’arrêta à Venise, à Bologne, puis, naturellement, à Parme ; enfin l’on arriva à Rome, et tout de suite le jeune Raphaël fut admis à connaître son glorieux homonyme. Il le copia assidûment, essaya de l’imiter, et prit son rôle si au sérieux que, pour être plus à même de continuer l’œuvre des maîtres de la Renaissance, il se convertit au catholicisme. Ses deux sœurs s’y convertirent avec lui ; et son père lui-même, le vieux libre penseur, se fit catholique, « ne voulant pas, disait-il, qu’il y eût un schisme dans sa famille ». Il y en eut un, pourtant, du fait de la gouvernante Catherine, qui refusa obstinément de se laisser baptiser.

Peu de temps après sa conversion, Raphaël Mengs se maria. Il épousa une belle Romaine, Marguerite Guazzi, qui lui avait servi de modèle pour ses Saintes Familles. Et quand la famille revint à Dresde, en 1749, les dissentimens commencèrent entre la belle-fille et ses beaux-parens. Raphaël Mengs était célèbre ; toute la course disputait l’honneur de poser devant lui ; mais dans sa maison son père et sa femme l’importunaient de leurs querelles. Et comme il était bon mari et bon fils, d’une nature docile, ennemie du désordre et du bruit, cette vie orageuse paraît l’avoir rendu profondément malheureux. Deux ans