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car il avait pu apprécier au commencement de son règne tout le prix de son influence sur la population de Fez, où elle était née et dont elle avait contribué à calmer l’effervescence.


IV

Le gouvernement marocain passa tout l’hiver de 1889-1890 à Fez ; au printemps il y recevait l’ambassade allemande de M. le comte de Tattembach, qui, accompagné d’une suite aussi nombreuse que brillante d’officiers, vint discuter et signer un traité de commerce. Cela fit quelque bruit à cette époque, l’imagination s’étant plu à exagérer les résultats que cet instrument commercial pouvait provoquer. L’étude comparative de trois traités internationaux semblables et les plus récens passés avec le Maroc, traité anglais de 1856, traité espagnol de 1860 et traité allemand de 1890, fait remarquer dans l’œuvre du ministre d’Allemagne la suppression de l’article qui remettait aux sultans le droit abusif de dénoncer tout ou partie de la convention au moment où ils le jugeraient bon. Le traité allemand doit en effet être appliqué jusqu’au jour d’une révision ou de la conclusion d’une nouvelle convention, et il ne peut être dénoncé que d’un commun accord. L’importance d’un tel résultat est très grande dans un pays de légendaire théocratie ; et l’on est surpris que jusqu’à cette époque on se soit accommodé des erremens précédens. Quant au principe de la libre exportation de certaines céréales, qui de tout temps avait été prohibée avec la dernière rigueur, il était enfin obtenu et reconnu.

Les bases de l’arrangement furent d’ailleurs moins heureuses par suite de l’élévation des droits de sortie, et le commerce général n’en profita pas. En revanche, l’article 4 de ce traité reconnaissait aux sujets allemands la liberté d’acheter, eux-mêmes ou par l’intermédiaire de leurs courtiers, sur tous les marchés des États de Sa Majesté Chérifienne, les articles indiqués au tableau sans qu’il fût permis de leur créer des embarras ou de chercher à leur nuire. Cette clause, si elle était observée, faciliterait singulièrement la pénétration du territoire marocain. On pourrait en effet à l’aide de cet instrument obliger le makhzen à laisser libre l’accès des marchés à l’intérieur. Mais il est curieux d’observer qu’il y a plus de cent ans, le 8 avril 1791, un traité de commerce et de navigation avait déjà été signé à Salé entre le Maroc et l’Angleterre, dont l’article 3 reconnaissait aux Anglais le droit d’aller, venir, vendre, résider, voyager, louer, bâtir des maisons et magasins dans les États de l’empereur.

Au mois de juin, la cour se mit en marche vers Meknas et Rabat, à travers le pays des Zemmours. Elle demeura à Rabat du