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la cour chérifienne allait visiter la résidence du corps diplomatique étranger, vis-à-vis duquel il convenait de sauvegarder le prestige de la souveraineté impériale. Toutefois, dans certains districts, cet effacement du pouvoir temporel ne calma qu’imparfaitement la défiance, et l’on vit des populations refuser jusqu’à la paille pour les chevaux du makhzen.

Le 4 septembre 1889, Moulaï-el-Hassan faisait son entrée à Tétouan. Il y rencontra les ministres de Belgique et d’Italie, qui lui présentèrent leurs lettres de créance, et furent à cette occasion reçus sur la place publique de la ville, avec le cérémonial habituel. On procéda de même pour le général gouverneur de la place espagnole de Ceuta, accomplissant une démarche de courtoisie. Puis on se mit en route pour Tanger, où Moulaï-el-Hassan s’installa dans la demeure du pacha, qui du haut de la Kasbah domine la ville. On avait réparé et aménagé complètement ce palais, car depuis un siècle aucun sultan n’était venu jusqu’au rivage du détroit de Gibraltar. Ce fut en grande pompe, suivi de toute son armée, que le souverain, entouré de son makhzen, pénétra dans la ville. À cette occasion il crut bon de tâter la susceptibilité du corps diplomatique en autorisant dans le cortège chérifien la présence d’un bouffon entièrement nu et qui sur un cheval se livrait à des gestes obscènes. Suivant les prévisions du sultan, les représentai étrangers ne formulèrent aucune protestation. Le séjour à Tanger ne fut marqué d’aucun incident, et les légations ne traitèrent aucune affaire importante. Les représentais étrangers furent reçus en masse par Sa Majesté Chérifienne au lieu dit « le seuil chérifien », c’est-à-dire devant la porte de la demeure impériale. On regrettera peut-être qu’en cette circonstance unique le corps diplomatique n’ait pas discuté quelqu’une de ces questions qui intéressent l’universalité des colonies étrangères dans le pays, telles que les mesures à exiger des autorités marocaines pour garantir avec plus d’efficacité la sécurité des Européens. Aussi bien l’urgence en était-elle extrême, car peu de temps après le passage du makhzen, un des membres les plus sympathiques de ce même corps diplomatique était chez lui la victime d’une odieuse tentative d’assassinat.

Sa Majesté Chérifienne rentra à Fez en passant par la petite ville de Larache, en face des ruines de l’antique Lixus, et en traversant la monotone et tranquille province du Gharb ; elle alla faire ses dévotions au sanctuaire de Moula-Idris, dans le Djebel-Zerhoum et ne séjourna que peu de temps à Meknas. Ce fut à cette époque que mourut la mère du sultan, femme d’une grande intelligence. Moulaï-el-Hassan se montra des plus affectés : il perdait un puissant moyen d’action pour sa politique intérieure,