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Telle est au Maroc la confusion des choses intérieures et l’instabilité des résultats acquis, que Moulaï-el-Hassan, à peine rentré de cette campagne considérée comme un succès, apprenait la fin tragique de son vieil oncle Moulaï-Serour, envoyé avec une escorte d’environ soixante-dix cavaliers pour percevoir un arriéré d’impôts chez les Aït-Chokman. Attiré dans un guet-apens, puis séparé durant la nuit de ses cavaliers, l’infortuné avait été égorgé deux jours après son départ du camp impérial. Le meurtrier était Si-Allal, le fils du fameux Mhaouch dont nous avons déjà parlé ; dans la suite, il se réfugia chez les Aït-Hadidou, et nous assisterons plus tard, au moment de la marche vers le Tafilelt, aux efforts infructueux du sultan pour s’en emparer.

A peine rentrée à Meknas, la cour chérifienne en repartait pour aller passer tout l’hiver 1888-1889 à Fez, et ce fut dans cette dernière ville qu’elle reçut l’ambassade de M. Patenôtre, venant présenter ses lettres de créance.

Le 17 juin, Moulaï-el-Hassan se remettait en route. On ignorait le but de l’expédition : certains affirmaient que l’armée se dirigeait vers Taza, les Riata et peut-être Ouchda ; d’autres, mieux informés, parlaient d’une marche sur Tétouan et Tanger. On remonta en effet vers le nord. A la sortie de Fez, après avoir passé le fleuve Sebou et à travers le territoire des Hayaina, la colonne manœuvra vers le Djebel-Moulaï-Bou-Chèta, les Beni-Zeroual, les Beni-Mestara, les Akhmas et enfin les populations de la petite ville de Chechaouen. Toutes ces tribus sont en majorité indépendantes de l’autorité temporelle du sultan : elles ne défèrent pour la plupart qu’à l’influence religieuse des chérifs Oulad-Abdesselam-ben-Mechich. Dans son voyage, Moulaï-el-Hassan procéda presque uniquement comme personnage religieux, respectueux des mœurs, des traditions locales et des doctrines religieuses. Il ne demanda que peu de paiemens d’impôts, plaçant même des soldats afin d’empêcher le gros de l’armée de gâter au passage les récoltes encore sur pied. Enfin le souverain, procédant ainsi qu’un modeste pèlerin, se conforma à un antique usage et s’en fut lui-même porter son offrande au tombeau de Moulaï-Abdesselam-ben-Mechich. Cette conduite était habile ; elle était en tout cas imposée par l’état politique de ces tribus redoutables entre toutes, car elles sont armées de fusils modernes à tir rapide provenant de l’importation considérable d’armes et de munitions de guerre qui depuis plusieurs années se fait le long de la côte du Rif. Dans le cas d’une attaque, chaque village se serait défendu avec courage, et certaines de ces tribus, telles que les Beni-Zeroual, peuvent aisément mettre en ligne jusqu’à vingt mille fantassins. Il fallait d’autant moins s’exposer à un échec que le voyage de Tanger était décidé et que