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lutte, car il s’agissait d’étudier l’état politique de ces populations kabyles du Nord. Enfin le sultan fera la longue et difficile campagne de Tafilelt, entreprise presque à la veille de sa mort et qui ne pourra être achevée à cause de la gravité du conflit avec l’Espagne et des événemens de Melilla.

A l’époque qui nous occupe, Moulaï-el-Hassan, par les intrigues que ses agens avaient nouées parmi les Beni-Meguiled et notamment par l’action du chérif Si-Mohammed-el-Amrami, avait très utilement préparé la campagne projetée. Il lui fallait en effet lutter contre une influence religieuse considérable, celle d’un chérif redoutable, agitateur dangereux, El-Arbi-el-Derqaoui. Ce n’est là d’ailleurs qu’une des formes de cette rivalité de race qui depuis tant de siècles subsiste entre l’élément berbère et les souverains arabes du Maghreb. Pour en saisir le caractère, il faut connaître la population berbère dont Moulaï-el-Hassan n’a cessé de poursuivre la soumission, œuvre gigantesque à laquelle se dévouèrent tous les princes des dynasties saadienne et filali.

On sait en effet qu’au Maroc la très grande majorité de la population est demeurée berbère et telle qu’elle était à l’époque lointaine où débarquèrent en Maurétanie les premiers colons phéniciens, alors qu’ils y trouvèrent cette race libyenne dont les auteurs anciens et quelques rares vestiges de monumens nous ont seuls transmis le souvenir. Les territoires berbères sont demeurés inexplorés à travers les âges et les différentes dominations. La race guerrière qui les occupe et qui s’est toujours distinguée par un amour farouche de l’indépendance a de tout temps professé les mêmes sentimens, depuis les Romains jusques et y compris les Arabes, au moment de leur plus grande splendeur. Les dynasties musulmanes elles-mêmes, malgré leurs efforts, ont dû se contenter de la facile domination des villes et des plaines voisines du littoral. Un moment, lorsque les chérifs saadiens arrivèrent au pouvoir, on put croire qu’il se produirait un changement. Grâce en effet à une nouvelle et hardie conception politique, ces princes succédaient à des dynasties très affaiblies par une longue suite de luttes et de révolutions. Ils pouvaient se dispenser par leur noble origine de l’appui des zaouïa et centres religieux qui avait été nécessaire à leurs prédécesseurs pour dominer les populations. On était en droit d’espérer qu’ils modifieraient la situation amoindrie du pouvoir. Aux origines du XVIe siècle, alors qu’il était impossible de songer même à discipliner les Berbères, il n’était pas téméraire de penser que, grâce à leur bravoure, les chérifs saadiens et plus tard leurs continuateurs, les chérifs filali, subjugueraient le vaste empire du Maghreb-el-Acsa. Mais si les couvens ou zaouïa qui jadis avaient prêté aux Mérinides l’appui de leur influence ne