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s’étaient établies entre le sultan et le marabout de Bou-el-Djad. Les montagnards des Aït-Issri et des Aït-Ouerra obéissaient à la voix d’un chérif, personnage influent et agitateur redoutable pour l’autorité du sultan, qu’il combattait ouvertement, Si-Mhaouch, qui vit encore et jouit d’un grand prestige parmi toutes les populations de cette région. Il est issu d’une puissante famille connue depuis des siècles dans le pays et à laquelle les légendes attribuent une richesse fabuleuse depuis l’époque antique où un de ses ancêtres possédait des mines d’argent inépuisables exploitées par des troupeaux d’esclaves.

Les opérations du sultan, dans la période qui nous occupe, ne paraissent pas avoir été couronnées de succès. Il fallut en effet se contenter de mettre on fuite quelques-uns des partisans de l’agitateur, par de courtes démonstrations sur les pentes inférieures des montagnes, et reprendre la direction de Merâkech après avoir confié aux Aït-Attab, soumis depuis deux ans à peine, et aux Beni-Mellal, la mission d’achever cet essai de répression, tandis que Mhaouch s’enfonçait dans le massif inexploré et presque impénétrable de ses hautes montagnes.

Dès son retour à Merâkech, Moulaï-el-Hassan qui, durant le règne de son père, et surtout au cours de l’expédition qu’il avait commandée dans le Sous, avait pu constater combien y était précaire l’autorité chérifienne, songea à organiser son pouvoir dans ces riches et lointaines contrées. Sa parole y était engagée, répétait-on à la cour, et on faisait le récit suivant : plusieurs années auparavant, au cours de la campagne qu’il avait entreprise, le jeune prince s’était avancé jusque chez les Oulad-Oulrass. Mais là il s’était trouvé en présence de Sidi-el-Ho-çein-ould-Hachem, haut et puissant seigneur religieux, chef incontesté et universellement redouté du Tazeroualt, véritable fief où régnait de père en fils la descendance du grand Hachem, vénéré à l’égal d’un dieu dans toute la contrée. Or ce Si-el-Hoçein n’avait pas hésité à barrer la route à l’envoyé du sultan, et, en marabout habitué à voir tout plier devant sa volonté, il ne lui donna même que trois jours pour battre en retraite, le menaçant après ce délai de l’y forcer par les armes. Moulaï-el-Hassan avait à cœur de prendre sa revanche de cette humiliation. D’autre part, on parlait à cette même époque, et avec persistance, de débarquemens et d’entreprises tentés dans ces régions méridionales par des chrétiens auxquels on prêtait des projets d’établissemens le long de toute la côte saharienne de l’Atlantique. Ne citait-on point un hardi négociant anglais, du nom de Mackenzie, qui s’était fixé au cap Juby, à une très faible distance au nord de la