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de la même politique, peut-être devons-nous redouter, avec l’affaiblissement du pouvoir central, toutes les incertitudes d’un gouvernement s’exerçant au milieu d’intrigues et de révolutions de palais.

L’histoire de Moulaï-el-Hassan, en nous montrant l’état intérieur de son empire et les conditions où s’exerça son autorité, permettra d’apprécier les devoirs et les charges du jeune Abd-el-Aziz au moment de son avènement.


I

Le sultan du Maroc, Moulaï-el-Hassan, était, en 1873, à 38 ans, khalifa ou chargé de la lieutenance dans le royaume de Merâkech, et commandait à ce titre une colonne envoyée pour recouvrer des arriérés d’impôts dans la vallée de Sous, au sud de l’Atlas, quand lui parvint la nouvelle de la mort de son père Sidi-Moham-mcd. Désigné en qualité de fils aîné par le sultan, à l’exclusion de ses autres frères, pour prendre le pouvoir, il se rendit en toute hâte au palais impérial. Franchissant la montagne en cavalier émérite, il arriva à marches forcées et très rapidement à Merâkech, où la fin de Sidi-Mohammed n’était pas encore connue. A l’exemple de ce qui se passait dans la Rome impériale, on avait caché la mort du souverain.

Très aimé par l’armée, où sa réputation établie de bravoure l’avait rendu populaire, Moulaï-el-Hassan ne paraît pas avoir non plus rencontré d’opposition dans sa famille, parmi ses oncles et ses frères. Acclamé par les ministres, par le grand vizir, il sut promptement se concilier tout ce nombreux personnel qui constitue au Maroc le makhzen ou gouvernement. Il eut l’habileté de conserver le même entourage que son père, mais, ainsi que cela a toujours eu lieu au Maghreb, le nouveau sultan, pour asseoir son prestige religieux autant que son pouvoir temporel, prenant la tête de ses troupes, dut partir à la conquête des villes et des populations de son royaume. De Merâkech à Meknas, la distance est grande ; les territoires, même en temps ordinaire, sont peu tranquilles : ce ne furent dès le début du règne que luttes continuelles pour décider les tribus à se soumettre.

Les premières difficultés sérieuses commencèrent au Tadela, dans cette région de grandes plaines qui succède directement aux contreforts du moyen Atlas et précède les provinces de Chaouïa que borde l’Atlantique. Le Tadela est peuplé de plusieurs tribus distinctes, nomades, parlant les unes l’arabe, les autres le tamazirt ou langue autochtone des Berbères, vivant toutes sous la tente,