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dans des vues opposées à celles du roi d’Angleterre : c’était seulement une manière différente d’entendre les intérêts communs. Mais le ministre qui reçut sa lettre, le comte de Holderness, secrétaire d’Etat, chargé principalement des affaires d’Allemagne, ne partagea nullement cette satisfaction. Il y vit tout de suite plus clair. Holderness était, comme c’est le cas de beaucoup de diplomates anglais, un personnage d’humeur hautaine et au verbe rude. « Je vois ce que c’est, dit-il, ils ne veulent nous prêter leur concours que si nous les aidons aussi à reconquérir tout ce qu’ils ont perdu dans la dernière guerre, et ce serait, dans notre situation, une vraie folie d’y songer[1]. »

Aussi fut-ce sous l’empire d’une irritation visible qu’il répliqua à Keith courrier par courrier : « Je ne puis cacher, disait-il, que la dernière partie de votre lettre a paru à Sa Majesté très différente de ce qu’elle avait droit d’attendre… Je vais donc essayer de détruire tous les argumens de M. de Kaunitz contre l’envoi du renfort de troupes dans les Pays-Bas, et vous montrer la nécessité que la cour d’Autriche se conforme (comply) à ce qui est réclamé par le roi. » — Suivaient, en effet, dix pages consacrées non à réfuter, mais à dénigrer sur un ton de satire, la conversation de Kaunitz. Est-ce sérieusement qu’on pense à Vienne, disait Holderness, connaissant les manières de faire de la cour de France, qu’elle a besoin de prétexte pour mettre ses desseins à exécution ? Ce ne peut être l’opinion d’un homme doué de sens commun et surtout d’un ministre qui a vécu à la cour de France. Lorsqu’on parle des assertions pacifiques données par le ministre Rouillé à Stahremberg, on a voulu grossièrement vous tromper (he has grossly imposed upon you), car des renseignemens certains venus d’autre part assurent que cette entrevue n’a été nullement satisfaisante. Enfin, quant à la crainte de l’agression de la Prusse, le projet de convention avec la Russie annoncé par l’Angleterre et le traité déjà existant entre cette cour et l’Autriche y répondent suffisamment. La conclusion était une instruction expresse, donnée à Keith, de réclamer une audience immédiate de l’impératrice pour lui faire connaître à elle-même les exigences absolues et sine qua non du roi d’Angleterre. Si elle se refuse à y satisfaire, disait le ministre anglais en terminant, le roi ne pourra plus prendre aucune mesure de concert avec la maison d’Autriche, et tout le système de l’Europe sera dissous. La réponse, quelle qu’elle fût, devait être rapportée par le messager porteur de la dépêche, toutes les mesures annoncées devant être mises en arrêt (at

  1. Ranke, p. 51.