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achetée au prix de tant de combats, et étroitement liée à celle de la Hollande elle-même, était, surtout depuis l’établissement de la succession protestante, un intérêt majeur et une question vitale. Aussi le cabinet anglais n’avait-il cessé d’appuyer très chaudement les réclamations élevées par les États Généraux contre l’exécution incomplète et insuffisante des précautions prises par le traité de la Barrière, et les instructions envoyées au ministre Keith qualifiaient dans les termes les plus sévères l’obstination, l’infatuation, l’ingratitude de l’Autriche qui, en laissant découvert ce point sensible et vulnérable de ses domaines, mettait en jeu, avec sa propre existence, le repos de toute l’Europe. Le ton déjà très élevé de ces réprimandes devint plus vif encore et plus amer quand il parut nécessaire de mettre ces contrées si précieuses et si mal gardées à l’abri d’un coup de main qui pouvait tout emporter d’un jour à l’autre.

Keith eut donc ordre de faire savoir au chancelier d’État que l’Angleterre, n’ayant rien de plus à cœur, en fidèle alliée, que de préserver de toute atteinte le territoire autrichien, était disposée à prêter largement son concours pour aider à en défendre l’accès. Elle recruterait à ses frais le corps de six mille hommes dont le landgrave de Hesse faisait commerce et qu’il tenait toujours à la disposition du plus offrant. En même temps, elle se hâterait de mener à fin, même au prix de lourds sacrifices, un traité avec la Russie en cours de négociation depuis plusieurs années, mais tenu en suspens en raison de l’énormité des exigences pécuniaires d’Elisabeth et de son chancelier Bestuchef ; un très fort contingent de troupes dont elle prenait toute la charge se trouverait ainsi préparé pour la défense commune. Mais l’Autriche, elle-même, en échange de cet ensemble de mesures généreuses prises principalement dans un intérêt qui lui était propre, devait y répondre par un effort au moins égal. Le moins qu’on pût attendre d’elle c’était l’envoi d’un corps d’armée de vingt-cinq à trente mille hommes pour remplir les vides des garnisons flamandes et les mettre en état de faire face au premier assaut de l’invasion française. Ce n’était pas trop lui demander que de se mettre en frais pour veiller à la sûreté de son propre domaine[1].

Kaunitz, avec toute l’apparence de la meilleure foi, se montra surpris de cette exigence. Était-on donc réellement si près de la guerre, dit-il, et n’y avait-il pas moyen de l’éviter ? Sans contester la justice des griefs qui pouvaient forcer l’Angleterre à prendre

  1. D’Arneth, t. IV, p. 272. — Becr. La politique autrichienne en 1755, 1756 — Historische Zeitschrift, XXVIIe vol., p. 290 et suiv. — Ranke, Origine de la guerre de Sept ans, Leipzig, 1871, p. 32-50.