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en moins favorables aux grandes tentatives, à la hardiesse, à la nouveauté, à la naïveté, ont rencontré des bonnes fortunes, si l’on veut, qui n’ont pas laissé de plaire à leur siècle moins favorisé, mais avide également de jouissances.

Dans cette heptarchie ou gouvernement de sept, le sceptre, le gouvernement se partage avec une certaine égalité, sauf le seul Titien, qui, bien que faisant partie, etc.. ne ferait qu’une manière de vice-roi dans ce gouvernement du beau domaine de la peinture. On peut le regarder comme le créateur du paysage. Il y a introduit cette largeur qu’il a mise dans le rendu des figures et des draperies.

On est confondu de la force, de la fécondité, de cette universalité de ces hommes du XVIe siècle. Nos petits tableaux misérables faits pour nos misérables habitations… La disparition de ces Mécènes dont les palais étaient pendant une suite de générations l’asile des beaux ouvrages, qui étaient dans les familles comme des titres de noblesse… Ces corporations de marchands commandaient des travaux qui effraieraient les souverains de nos jours et des artistes de taille à accomplir toutes les tâches… Déjà, moins de cent ans après, le Poussin ne fait que de petits tableaux.

Il faut renoncer à imaginer même ce que devaient être des Titien dans leur nouveauté et leur fraîcheur. Nous voyons ces admirables ouvrages après trois cents ans de vernis, d’accidens, de réparations pires que leurs malheurs.


4 janvier. — Les Cyclopes préparant l’appartement de Psyché. (Contrastes, Vénus ou Psyché est là, etc.)

On ne peut nier que dans le Raphaël l’élégance ne l’emporte sur le naturel, et que cette élégance ne dégénère souvent en manière. Je sais bien qu’il y a le charme, le je ne sais quoi. (C’est comme dans Rossini : expression, mais surtout élégance.)

Si l’on vivait cent vingt ans, on préférerait Titien à tout. Ce n’est pas l’homme des jeunes gens. Il est le moins maniéré et par conséquent le plus varié des peintres. Les talens maniérés n’ont qu’une pente, qu’une habitude ; ils suivent l’impulsion de la main bien plus qu’ils ne la dirigent. Le talent le moins maniéré doit être le plus varié : il obéit à chaque instant à une émotion vraie, il faut qu’il rende cette émotion ; la parure, une vaine montre de sa facilité ou de son adresse, ne l’occupent point ; il méprise au contraire tout ce qui ne le conduit pas à une plus vive expression de sa pensée : c’est celui qui dissimule le plus l’exécution ou qui a l’air d’y prendre le moins garde.