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personnel ? On ne peut lui prendre que ses recettes ; la pente de l’élève à s’approprier promptement cette facilité d’exécution qui est chez l’homme de talent le résultat de l’expérience dénature la vocation et ne fait, en quelque sorte, qu’enter un arbre sur un arbre d’une espèce différente. Il y a de robustes tempéramens d’artistes qui absorbent tout, qui profitent de tout ; bien qu’élevés dans des manières que leur nature ne leur eût pas inspirées, ils retrouvent leur route à travers les préceptes et les exemples contraires, profitent de ce qui est bon, et, quoique marqués quelquefois d’une certaine empreinte d’école, deviennent des Rubens, des Titien, des Raphaël, etc.

Il faut absolument que, dans un moment quelconque de Leur carrière, ils arrivent, non pas à mépriser tout ce qui n’est pas eux, mais à dépouiller complètement ce fanatisme presque toujours aveugle qui nous pousse tous à l’imitation des grands maîtres et à ne jurer que par leurs ouvrages. Il faut se dire : Cela est bon pour Rubens, ceci pour Raphaël, Titien ou Michel-Ange. Ce qu’ils ont fait les regarde ; rien ne m’enchaîne à celui-ci ou à celui-là.

Il faut apprendre à se savoir gré de ce qu’on a trouvé ; une poignée d’inspiration naïve est préférable à tout. Molière, dit-on, ferma un jour Plaute et Térence ; il dit à ses amis : « J’ai assez de ces modèles : je regarde à présent en moi et autour de moi. »


1er octobre. — Nous allons, le cousin, la cousine et moi, voir le bon Schüler : je le remercie de ses gravures ; nous y allons surtout pour voir le petit portrait qu’il a fait du cousin, pour mettre en tête de ses œuvres : je les quitte pour aller à la Maison d’œuvre.

Les naïfs me captivent de plus en plus ; je remarque dans des têtes telles que le vieillard à longue barbe et en longue draperie, dans les têtes de deux statues un peu colossales d’un abbé et d’un roi qui sont dans la cour, combien ils ont connu le procédé antique. Je les dessine à la manière de nos médailles d’après l’antique, par les plans seulement. Il me semble que l’étude de ces modèles d’une époque réputée barbare, par moi tout le premier, et remplie pourtant de tout ce qui fait remarquer les beaux ouvrages, m’ôte mes dernières chaînes, me confirme dans l’opinion que le beau est partout, et que chaque homme non seulement le voit, mais doit absolument le rendre à sa manière.

Où sont ces types grecs, cette régularité dont on s’est habitué à faire le type invariable du beau ? Les têtes de ces hommes et de ces femmes sont celles qu’ils avaient sous les yeux. Dira-t-on que le mouvement qui nous porte à aimer une femme qui nous plaît