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au charme particulier de l’École anglaise. Le peu que j’ai vu m’a laissé des souvenirs. Chez eux, il y a une finesse réelle qui domine toutes les intentions de pastiche qui se produisent çà et là, comme dans notre triste école ; la finesse chez nous est ce qu’il y a de plus rare : tout a l’air d’être fait avec de gros outils et, qui pis est, par des esprits obtus et vulgaires. Otez Meissonier, Decamps, un ou deux autres encore, quelques tableaux de la jeunesse d’Ingres, tout est banal, émoussé, sans intention, sans chaleur… Ce prétendu pays de dessin n’en offre réellement nulle trace, et les tableaux les plus prétentieux pas davantage. Dans les moindres dessins anglais, chaque objet presque est traité avec l’intérêt qu’il demande : paysages, vues maritimes, costumes, actions de guerre, tout cela est charmant, touché juste, et surtout dessiné… Je ne vois pas chez nous ce qu’on peut comparer à Leslie, à Grant, à tous ceux de cette école qui procèdent partie de Wilkie, partie de Hogarth, avec un peu de la souplesse et de la facilité introduites par l’école d’il y a quarante ans, les Lawrence et consorts, qui brillaient par l’élégance et la légèreté.

Si l’on regarde une autre phase, qui est chez eux toute nouvelle, ce qu’on appelle l’Ecole sèche, souvenir des Flamands primitifs, on trouve, sous cette apparence de réminiscence dans l’aridité du procédé, un sentiment de vérité réel et tout à fait local. Quelle bonne foi, au milieu de cette prétendue imitation des vieux tableaux ! Comparez, par exemple, l’Ordre d’élargissement de Hunt ou de Millais, je ne sais plus lequel, avec nos primitifs, nos byzantins, entêtés de style, qui, les yeux fixés sur les images d’un autre temps, n’en prirent que la raideur, sans y ajouter de qualités propres.

Cette cohue de tristes médiocrités est énorme : pas un trait de vérité, de la vérité qui vient de l’âme ; pas un seul comme cet enfant qui dort sur les bras de sa mère, et dont les petits cheveux soyeux, le sommeil si plein de vérité, dont tous les traits, jusqu’aux jambes rouges et les pieds, sont singuliers d’observation, mais surtout de sentiment. Les Flandrin, voilà pour le grand style ! Qu’y a-t-il, dans les tableaux de ces gens-là, du vrai homme qui les a peints ? Combien du Jules Romain dans celui-ci, combien du Pérugin ou d’Ingres son maître dans celui-là, et partout la prétention au sérieux, au grand homme… à l’art sérieux, comme dit Delaroche !

Leys, le Flamand, me paraît fort intéressant aussi, mais il n’a pas, avec l’air d’une exécution plus indépendante, cette bonhomie des Anglais ; je vois un effort, une manière, quelque chose qui m’inquiète sur la parfaite bonne foi du peintre, et les autres sont au-dessous de lui.