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dates rigoureuses. Tout au plus pourrait-on espérer de déterminer à quel moment le système brâhmanique, qui a depuis régi théoriquement la caste, a reçu sa forme dernière. La prétention serait encore trop ambitieuse. Nous pouvons nous en consoler ; nous n’en serions pas beaucoup plus avancés, s’il est vrai que ce système résume l’idéal de la caste dominante plus qu’il ne reflète la situation vraie. Même en ce qui concerne le Véda, la valeur des indices qu’il apporte n’est rien moins que définie. Il faudrait savoir s’il épuise bien l’ensemble des faits contemporains, s’il les rend intégralement et fidèlement. C’est ce dont je n’estime pas du tout que nous soyons certains. Ce qui est sûr, c’est qu’on y voit saillir encore en un plein relief cette hiérarchie de classes qui s’est plus tard résolue dans le régime des castes. Il est pourtant indubitable que, dès la période védique, les causes avaient commencé d’agir qui, par leur action combinée et suivie, devaient sur le vieux tronc aryen greffer un ordre nouveau.

Les aryens de l’Inde et les aryens du monde classique partent des mêmes prémisses. Combien les conséquences sont de part et d’autre différentes !

A l’origine, les mêmes groupes, gouvernés par les mêmes croyances, les mêmes usages. En Grèce et en Italie, ces petites sociétés s’associent et s’organisent. Elles s’étagent en un système ordonné. Chaque groupe conserve dans sa sphère d’action sa pleine autonomie ; mais la fédération supérieure qui constitue la cité embrasse les intérêts communs et régularise l’action commune. Le chaos prend forme sous la main des Grecs. Les organismes disjoints se soudent en une unité plus large. Au fur et à mesure qu’elle s’achève, l’idée nouvelle qui en est l’âme latente, l’idée politique, s’ébauche. Comme la caste, la cité est issue de la constitution primitive commune ; jetée dans le moule des mêmes règles religieuses, des mêmes traditions, mais inspirée par des nécessités nouvelles, elle dégage un principe nouveau d’organisation. Elle se montre capable de s’élargir, de s’affranchir des barrières qui ont soutenu, mais aussi contenu ses premiers pas. Plus tard, elle suffira, en se transformant, aux besoins des révolutions de mœurs et de pouvoir les plus profonds.

Dans l’Inde, la caste continue les antiques coutumes ; elle les développe même à plusieurs égards dans leur ligne logique ; mais elle perd quelque chose de l’impulsion qui avait créé les groupes primitifs, et elle n’en renouvelle pas l’esprit. Des notions diverses se mêlent ou se substituent ici au lien généalogique qui avait noué les premières sociétés. En se modifiant, en devenant castes, elles ne trouvent pas en elles-mêmes de principe régulateur ; elles