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séparer de vraja, « pâturage », évoquent les mêmes images. Et aussi gotra. Le mot n’est employé dans le Rig-Véda qu’avec le sens étymologique d’ « étable ». Si pourtant nous le voyons ensuite désigner régulièrement le clan éponyme, l’usage est indubitablement ancien. Le Rig-Véda n’y fait point d’allusion ; cela prouve simplement une fois de plus quelle illusion périlleuse il y a à tirer du silence des Hymnes des conclusions positives. Cette application du mot ne se justifie du reste que par une étape intermédiaire. Très voisin de vrijana par sa signification première, il a dû traverser une évolution analogue ; il a dû être lui aussi un synonyme, au moins approximatif, de grâma ou village.

Le village hindou a toute une vie autonome. Dans plusieurs régions, il est une véritable corporation, et son territoire propriété commune : une organisation qui a provoqué de fréquens parallèles avec les communautés de village slaves. On a été amené à considérer le village comme l’équivalent du clan primitif : il en aurait perpétué, dans un établissement plus fixe, la communauté de sang, la communauté de biens et la juridiction. Je ne décide pas si partout les communautés de village sont dans l’Inde d’origine ancienne, si elles n’ont pas, en certains cas et sous l’empire de conditions spéciales, reconstitué accidentellement un type social primitif. Elles témoignent au moins d’une puissante tradition de vie corporative. Parallèlement règne dans une vaste région le système de ces communautés de famille (joint family) où plusieurs générations restent groupées dans l’indivision et sous une autorité patriarcale. L’esprit est ici opiniâtrement conservateur des vieilles institutions. Ce n’est pas tout.

J’ai parlé de ces villages russes où la communauté de propriété et le rapprochement sur un même sol ont eu pour conséquence la communauté professionnelle. Le même fait s’est produit dans l’Inde. On n’en peut douter quand on songe aux nombreux villages de potiers, de corroyeurs, de forgerons, auxquels la littérature, la littérature bouddhique surtout, fait des allusions si fréquentes. La communauté de métier a pu d’autant mieux se propager de la sorte, si un lien de consanguinité unissait à l’origine les membres du village. Or il est sans cesse question de villages de brâhmanes. C’est donc que, souvent au moins, la parenté dominait les groupemens ; car, à coup sûr, pour des brâhmanes, la parenté était l’essentiel, non pas l’identité de profession : ils vivaient infiniment moins de leurs fonctions rituelles que d’industrie agricole et surtout pastorale. Ce qui n’empêche que leur exemple n’ait pu cependant, en vertu d’une analogie superficielle, favoriser autour d’eux la communauté de métier, dans des groupes moins nobles et moins respectés.