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régissent la caste, la règle endogamique par exemple ; M. Risley n’y cherche guère que des analogies curieuses avec les coutumes qu’a apportées de son côté l’élément aryen, telles que les restrictions exogamiques ; mais des faits si universels cessent d’être significatifs.

Les théories trop timides qui n’osent s’émanciper de la tradition hindoue restent impuissantes ; il ne faut pas moins se garder des théories trop vagues, trop compréhensives. Si la communauté d’occupation suffisait à fonder le régime des castes, il devrait régner dans bien d’autres pays que l’Inde. L’objection saute aux yeux. Elle ne condamne pas moins le système qui se contente, sans enchaînement historique, sans détermination précise, de signaler les lois de la caste comme une survivance de l’antique organisation de la tribu ou du clan.

Se réfère-t-on aux traits généraux d’une organisation si naturelle aux périodes archaïques de la sociabilité humaine qu’elle se retrouve chez les races les plus diverses ? On reste dans le vague ; on ne démontre rien. Si l’on songe uniquement ou même principalement à l’organisation des tribus aborigènes de l’Inde, si l’on admet qu’elle ait réagi avec une force si décisive sur la constitution générale du monde hindou, qu’une classe ambitieuse de prêtres s’en soit emparée, en ait fait une arme de combat, on retourne le courant probable de l’histoire, on prête à des mobiles trop minces une puissance disproportionnée. Tout indique que, dans la marche de la civilisation indienne, l’action déterminante appartient aux élémens aryens ; les élémens aborigènes n’ont exercé qu’une action modificatrice, partielle et secondaire.

Est-ce à dire que ce rapprochement, de la caste et de la tribu soit stérile ? .l’y vois au contraire une notion neuve, capitale, mais à condition que l’on serre les faits d’un peu près, que l’éblouissement des généralités commodes ne fasse pas perdre de vue l’enchaînement nécessaire des réalités historiques. C’est ce qui me dispense d’entrer dans le détail des spéculations que les recherches récentes sur l’organisation juridique primitive ont occasionnellement consacrées à la caste. Celles mêmes qui se sont sagement confinées dans le domaine Aryen, étant trop sommaires, ne sont guère entrées dans le vif de l’évolution. Nous en ferons à l’occasion notre profit. Mais nous avons touché du doigt le danger des thèses trop abstraites. La caste n’existe que dans l’Inde. C’est donc qu’il en faut chercher la clef dans la situation spéciale de l’Inde. Sans fermer les yeux à d’autres clartés, c’est aux faits eux-mêmes qu’il faut demander des lumières, à l’analyse des élémens caractéristiques du régime, tels que l’observation nous les livre dans le présent et nous aide à les reconstituer dans le passé.