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singulière avec la suite, quand il dérive des usages traditionnels de la tribu la réglementation du mariage.

Ce n’est pas qu’il soit dupe du dogmatisme des livres religieux. A ses yeux « les quatre castes n’ont jamais eu dans l’Inde d’autre existence qu’aujourd’hui, comme une tradition qui fait autorité. » Empruntée au passé indo-iranien, elle n’a guère d’autre mérite que de rattacher la variété des castes aux différences de fonction. Les Vaïçyas et les Coudras, en particulier, n’ont jamais été qu’une sorte de rubrique destinée à envelopper une foule d’élémens hétérogènes. Mais, évidemment, et sans se soustraire à la séduction qu’exerçaient sur son esprit les constructions positivistes, M. Nesfield a bien senti que, faute d’un correctif, sa théorie prouvait trop. Sans doute aussi a-t-il, malgré sa naturelle indépendance, subi le prestige de la tradition. Quoi qu’il en soit, la concession qu’il lui fait, loin d’être inhérente à son système, en trouble toute l’ordonnance. L’originalité en est ailleurs. Si d’autres avaient, avant lui, assigné, dans la genèse des castes, une part d’action à la spécialité professionnelle, personne n’y avait ramené aussi délibérément toute l’évolution. Plus que personne aussi, il en a rattaché les détails caractéristiques aux souvenirs de la tribu. En prenant pied sur le terrain nouveau de l’ethnographie, il a étendu les perspectives et préparé à l’interprétation un fondement plus large.

Plusieurs des vues qu’il a semées en passant pourraient disparaître sans laisser de lacune sensible. La fusion des élémens divers de population fut, suivant lui, très anciennement achevée, la parfaite unité de l’ensemble assurée dès une haute époque ; Si chaleureuse qu’elle soit, sa conviction appellerait bien des objections et des réserves, mais elle n’est point indissolublement solidaire de ses vues sur l’origine professionnelle de la caste. On en peut dire autant des déductions étymologiques, des données légendaires dans lesquelles il prétend saisir, dès son début, l’histoire de bien des castes, au moment précis où elles se détachent par essaims successifs des tribus originaires. L’information ici est plus variée, la combinaison plus brillante que la méthode n’est rigoureuse.

M. Nesfield a peut-être trop étudié la caste par son aspect extérieur et actuel. Il a commencé par l’expérience quotidienne ; c’est un avantage, c’est aussi un péril. Sa théorie s’est si bien emparée de son esprit, qu’il a été naturellement entraîné à nous la présenter dans une exposition déductive, plutôt qu’il n’en a suivi la démonstration pied à pied. Convertira-t-il beaucoup de chercheurs à une thèse qui dérive un phénomène historique si