Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait séduit les rois, par l’agrément de ses flatteries. On disait devant lui d’un des plus spirituels de ces dominateurs de l’avenir, en qui il se sentait déjà revivre, Thiers : « Il est parvenu. — Non, répliquait-il, il est arrivé. » De tels mots assurent des panégyriques. Il réussit si bien à se draper dans une gravité historique qu’il vit l’Académie des sciences morales et politiques, oublieuse ce jour-là du premier de ses noms, se lever tout entière à son entrée, comme si le dieu de la sagesse politique venait apporter ses oracles.

Afin de ne laisser derrière lui aucun de ses actes contredit ou désavoué et pour clore dignement par une imposture une existence toute d’imposture, il ne lui restait qu’à simuler une réconciliation avec l’Eglise. Il n’y manqua pas. Après avoir dupé la terre, il voulut finir en dupant le ciel, oubliant qu’on ne le dupe pas. L’Eglise ne se montra pas exigeante ; satisfaite d’une rétractation, elle n’imposa aucune restitution. Le monde officiel, littéraire, financier, fit cortège à sa dépouille. Le peuple n’y vint pas et mit comme post-scriptum à l’apothéose officielle une anecdote apocryphe. La veille de sa mort, le roi était venu visiter le moribond. « Eh bien ! prince, lui aurait-il dit, comment êtes-vous ? — Je souffre comme un damné. — Déjà ! » aurait répondu le roi.

Il est regrettable qu’il n’ait pu vivre encore quelques années. Sa dernière entente avec l’occasion eût subi les mêmes vicissitudes que les précédentes. Recherché avec empressement par tous les gouvernemens, remercié par tous avec plus d’empressement encore, il eût été, si la mort n’avait clos la comédie, disgracié par Louis-Philippe comme il le fut par le Directoire, Napoléon, Louis XVIII. Il se serait aussi une fois de plus vengé par la conspiration. Contre qui n’a-t-il pas conspiré ? Il complota contre la République ; « il fut constamment porté à conspirer contre l’Empereur[1] » ; il travailla à renverser les Bourbons ; il eût soutenu l’attaque de Thiers contre Louis-Philippe.

De même qu’il retrouva le langage des ministres de Louis XIV pour célébrer la légitimité, sa voix de l’Assemblée constituante pour défendre l’orléanisme, il eût repris sa plume de ministre du Directoire fêtant l’anniversaire du 21 janvier, pour saluer la seconde république. Son ardeur à demi éteinte se serait rallumée pour répéter : « A toutes les époques il y a du bien à faire ou du mal à empêcher : quand on aime son pays, on peut et on doit le servir sous tous les gouvernemens. » Il serait retourné à Londres au nom de Lamartine aussi allègrement qu’il s’y était rendu au nom de Danton et de Louis-Philippe. En

  1. Metternich, Mémoires, t. I, p. 70. Personne ne le savait mieux que Metternich, son complice.