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de nous, par un accord entre les quatre puissances et uniquement dans la crainte qu’elles ne tombassent entre nos mains en cas de guerre.

Le conflit sur notre frontière du nord à peine clos, Palmerston s’engage, sur notre frontière du midi, dans un antagonisme non moins blessant, plus inquiétant, parce qu’il n’était pas susceptible comme l’autre d’une solution définitive, plus malaisé à concilier, parce que nos droits contestés au midi étaient plus anciens et plus sérieux que ceux sur lesquels nous avions capitulé au nord.


XII

Le traité d’Utrecht, en prohibant le cumul sur une même tête des couronnes d’Espagne et de France, reconnaissait l’intérêt que la France avait à l’étroite amitié de l’Espagne, cimentée par l’union des deux maisons régnantes. Nos hommes d’Etat, Chateaubriand, Villèle, Guizot, Broglie, Thiers n’ont cessé d’affirmer, sur l’autorité de Louis XIV et de Napoléon, qu’une certaine influence en Espagne était une des conditions de notre sécurité. Berryer a résumé cette tradition nationale dans une exclamation passionnée : « L’Espagne ! question immense ! L’intérêt perpétuel pour la France, c’est l’union des deux pays. Le besoin de la France d’être certaine de l’amitié de l’Espagne, c’est le fondement de toutes les politiques[1]. »

L’Angleterre a un intérêt sérieux en Portugal. Tous les ports, depuis Calais jusqu’à Marseille, sauf Gibraltar, étant en notre pouvoir, il lui importe de disposer de la station navale du Tage, dont elle ne serait plus assurée si le Portugal perdait son existence séparée de protégé et d’allié de l’Angleterre. Au contraire, elle n’a aucun intérêt personnel direct en Espagne, qui puisse être mis un instant en balance avec nos intérêts permanens et multiples.

Nous ne lui avons jamais contesté sa situation privilégiée en Portugal : pourquoi n’a-t-elle pas voulu reconnaître la nôtre en Espagne ? Pourquoi, depuis 1815, les hommes d’Etat anglais n’ont-ils cessé de professer, selon les paroles de Robert Peel, « que résister à l’influence française en Espagne devait être le principal et constant effort de l’Angleterre ? Pourquoi un article secret des traités de 1815 a-t-il interdit à l’Espagne de renouveler avec nous un pacte de famille ? Palmerston a donné ce pourquoi : « C’est pour servir de contrepoids à la France et sauvegarder ainsi la Belgique et les provinces rhénanes[2]. » La soumission de l’Espagne

  1. Discours du 16 janvier 1839.
  2. A John Russell, 9 août 1847.