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résistance opiniâtre du congrès belge que par la menace de partager le pays[1]. Metternich triomphait : « Les deux cabinets qui seuls ont proclamé le principe de non-intervention n’ont pas tardé à se voir forcés à l’intervention la plus décidée que les fastes de la diplomatie aient à recueillir[2]. »

C’était vrai. Aussi Talleyrand, qui ne se donnait jamais de ridicule, ne s’exposa pas à parler de non-intervention à Londres. Il s’en moqua même dédaigneusement : « C’est, disait-il, un terme politique, métaphysique signifiant la même chose qu’intervention[3]. » Il appuya les décisions de la conférence de Londres sur le concert européen[4].

La révolution dirigée contre Metternich et la Sainte-Alliance aboutissait à la reconnaissance solennelle de leur doctrine par ceux qui l’avaient combattue. La seule différence fut que depuis 1830 on salua le principe de non-intervention avant de le décapiter par un mais, tandis qu’avant on ne lui accordait pas même cette politesse.

A Londres, comme à Vienne, Talleyrand ne réussit point par la grâce d’un principe ; à Londres comme à Vienne, son habileté consista à attribuer à un effort de sa diplomatie des solutions acquises d’avance. Pas plus à Londres qu’à Vienne, il ne fut l’âme des délibérations, le dominateur de l’Europe. Il ne parut tel qu’en se subordonnant à la pensée des autres. A Vienne, il avait été l’instrument de Metternich ; à Londres, il devint celui de Palmerston. Pour gagner Metternich en 1814, il avait abandonné toutes nos places fortes : il eût concédé l’évacuation de l’Algérie pour se concilier Palmerston, si, de Paris, on ne l’avait arrêté[5]. Il avait aidé Metternich à établir la Prusse sur le Rhin, il s’unit à Palmerston pour constituer la neutralité belge.

La constitution d’un royaume belge neutre, avec une délimitation territoriale combinée pour nous emprisonner, était la réalisation d’une pensée aussi ennemie que l’établissement de la Prusse sur le Rhin. « L’Europe ne consentira jamais, avait dit Palmerston, à moins d’y être forcée par une guerre désastreuse, à ce que la Belgique soit unie directement ou indirectement à la France[6]. » C’est pour que cette union même indirecte n’eût pas lieu, que la Belgique a été déclarée neutre sous la garantie de l’Europe, et qu’elle a été placée de la sorte dans l’impossibilité

  1. Juste, Révolution belge, t. II, p. 100. — Mémoires de Talleyrand, IV, p. 227, 228.
  2. Mémoires, 15 février 1831.
  3. Talleyrand à Casimir Perier. 28 mars 1831.
  4. Talleyrand à Sébastiani, 6 février 1831.
  5. Thureau-Dangin, Monarchie de Juillet, t. I, p. 76, n° 1.
  6. A Granville, 18 mars 1831.