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jusqu’à Wellington lui-même, qui, après avoir longtemps affirmé qu’on ne pouvait se passer de lui, en vint à déclarer tout haut « qu’il n’y avait plus rien à faire avec cet homme-là ».

Alors, se retournant, il s’était mis à caresser les bonapartistes et les libéraux. Auprès des bonapartistes, il se faisait un titre de ses bévues du congrès de Vienne. « J’ai défendu obstinément le roi de Saxe, disait-il au duc de Vicence, parce que c’est le dernier des souverains allemands restés fidèles à Napoléon en 1813. » « J’ai préféré, disait-il encore, placer sur le Rhin la Prusse, parce qu’à un certain moment il sera possible de lui arracher les provinces rhénanes, ce qui serait cruel et impraticable si elles étaient devenues, entre les mains du roi de Saxe, la compensation d’un trône perdu. » Avec les libéraux, il se prononça contre la seconde expédition d’Espagne, rappelant une opposition qu’il n’avait point faite à la première pour prédire des revers qui ne troublèrent pas la seconde. Son infaillibilité ne discerna pas que c’étaient précisément les défaites de l’Empire qui permettaient de prédire les succès de la Restauration. L’Empire détrônait le roi national, la Restauration le défendait. Ne poursuivant pas le même but, on était certain de ne pas aboutir au même résultat et, où l’Empereur ne recueillit que des misères, de n’obtenir que des avantages.

Talleyrand avait annoncé la catastrophe en Espagne, où elle ne se produisit pas ; il ne l’apercevait pas en France, où elle approchait à grands pas. Metternich, venu à Paris en 1825, fut frappé de son aveuglement. Cependant son désir de culbuter les Bourbons était alors devenu aussi vif qu’autrefois sa passion de détrôner Napoléon. Son salon était un foyer de mécontentement, de critiques, de médisances. L’expédition d’Alger ne trouva pas même grâce devant lui ; il la jugea « une étourderie qui peut-être pouvait conduire à des choses sérieuses[1] ». Ces choses sérieuses, c’était la rupture avec l’Angleterre. Il paraît bien que, loin de s’effrayer de cette éventualité, selon son habitude de se servir de l’étranger contre le gouvernement de son pays, il s’associa aux sentimens d’hostilité de l’ambassadeur anglais, lord Stuart, et à ses manœuvres contre Charles X. Le second jour des événemens de Juillet, Victor de Broglie, dînant rue Saint-Florentin, vit arriver au dessert lord Stuart : « Leur entretien fut long ; au point où on en était, ils ne se gênèrent pas en sa présence, et ce qu’ils dirent sur ce qui ne pouvait pas manquer d’arriver n’était pas à coup sûr de gens qui s’en parlassent pour la première fois[2]. »

  1. Mémoires, t. III, p. 449.
  2. Souvenirs, t. IV, p. 55.