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facile et honorable la position de leur candidat et exiger que la seconde paix fût strictement conforme à la première[1]. S’ils avaient, en effet, repris le rôle de protection rempli par Alexandre en 1814 et auquel celui-ci renonçait par dépit, nous leur en eussions été reconnaissans, et l’alliance forcée fût devenue l’alliance de prédilection. Bien différente fut leur attitude. Ils aggravèrent les conditions du traité de Paris et allèrent même jusqu’à seconder le projet prussien, chef-d’œuvre de destruction, au dire de Pozzo, et qui, accepté par la coalition, nous rayait de la carte politique de l’Europe.

Talleyrand, rendu incapable d’application et d’effort par sa passion pour une personne qui lui tenait de très près, « l’un de ses chers anges », se montrait, de l’aveu unanime, d’une insuffisance désastreuse à l’intérieur. A l’extérieur, que pouvait-il, lorsque les prétentions les plus cruelles étaient soulevées par les deux puissances auxquelles il s’était lié à Vienne ? Les élections achevèrent de rendre sa situation intenable. Elles avaient produit une Chambre animée des passions royalistes les plus exaltées. Les députés arrivaient à Paris le cœur plein de ressentiment. On crut les calmer en sacrifiant Fouché. « Vous savez, leur disait-on, Fouché est renvoyé, et c’est à M. de Talleyrand qu’on le doit. — Ah ! tant mieux, répondaient-ils, le roi a bien fait, mais quand renverra-t-il l’autre ? — L’autre ? quel autre ? — Eh ! M. de Talleyrand lui-même ! »

Talleyrand comprit qu’il ne pourrait se soutenir contre des dispositions aussi hautement malveillantes, sans un surcroît d’appui de l’autorité royale. Se jugeant indispensable, il crut l’obtenir en effrayant le roi de sa démission. Mais le roi s’était peu à peu convaincu, malgré son anglomanie, que se rapprocher d’Alexandre était le seul moyen de tempérer dans le détail les exigences des alliés, acceptées en principe, et que tout rapprochement serait refusé tant que les affaires seraient aux mains du signataire du traité de Vienne. Aussi, quand Talleyrand déclara que le ministère se sentait hors d’état de mener à bien les affaires, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, si le roi ne lui garantissait son appui formel envers et contre tous, Louis XVIII répondit : « Cela est peu constitutionnel, c’est à mes ministres de se tirer d’affaire. — En ce cas, dit Talleyrand, négligeant ses circonlocutions ordinaires, nous serons obligés de nous retirer. — Eh bien, fit le roi, d’un air soulagé, si mes ministres se retirent, je chargerai quelqu’un de former un nouveau cabinet. »

  1. Bulwer Lytton, Étude sur Talleyrand.