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cela, s’il veut être despote, le danger passé, nous nous réunirons pour le pendre si cela est jugé indispensable. Mais aujourd’hui, marchons avec lui. Sauvons-le pour qu’il nous sauve[1]. » Lanjuinais ne se laissa pas convaincre. Guidés par La Fayette et d’imprévoyans amis de la liberté, les représentans ne songèrent qu’à consommer la ruine du vaincu de Waterloo. Au mépris de tant d’enseignemens de l’histoire, ils s’imaginèrent que le vainqueur s’adoucirait dès que la France aurait abjuré son chef, et aggravant nos maux, non tout à fait irrémédiables, par une révolution intérieure devant l’ennemi, ils rendirent désespérée une situation qui n’était que critique.

L’Empereur lui-même, affaibli de santé, de volonté, de génie, ne se défend pas, n’ose plus oser, seconde l’action hostile par ses indécisions, ayant renoncé à être général, ne sait pas rester souverain, abdique malgré les conseils de Lucien et de Carnot, et au lieu d’aller vers le généreux qui lui eût ouvert les bras, comptant sur une belle phrase pour apaiser une longue haine, il se livre à l’implacable qui l’envoie au supplice. Les souvenirs classiques ont coûté cher à Napoléon : Astyanax lui a fait perdre Paris en 1814[2] ; Thémistocle l’a conduit à Sainte-Hélène en 1815[3]. Quand, réduit aux abois, il quitta l’Elysée pour la Malmaison, première station de son calvaire, Carnot l’arrête sur le perron par lequel on descendait au jardin, l’embrasse, appuie sa tête sur l’épaule du grand homme trahi, afin de cacher les larmes qui inondaient son visage. La douleur du peuple égala celle du républicain patriote à la nouvelle de la démission suprême de celui en qui il avait mis son orgueil, son espoir, et qu’il considérait comme l’image même de la patrie.

L’aigle mis aux fers, le vautour se montre. Wellington impose à Louis XVIII Talleyrand et le double de Fouché. « Si le roi désirait le concours du gouvernement anglais, avait-il dit, il devait se résoudre à mettre à la tête du sien des hommes à qui l’on pouvait se fier. » C’est ainsi qu’après Waterloo, Louis XVIII « rétabli mais avili[4] », rentra comme le chef des Anglais et des Prussiens[5] », « entre le crime et le vice[6] », un bras

  1. Lettre de Joseph citée par Meneval.
  2. A Joseph : « Je préférerais savoir mon fils dans la Seine plutôt que dans les mains des ennemis de la France. Le sort d’Astyanax, prisonnier des Grecs, m’a toujours paru le sortie plus malheureux de l’histoire. » (16 mars 1814.)
  3. Au régent d’Angleterre : « Je viens, comme Thémistocle, m’asseoir au loyer du peuple britannique. »
  4. Joseph de Maistre.
  5. Chateaubriand.
  6. Chateaubriand.