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attaque l’un pour délivrer l’autre, n’excuse pas[1]. » Lamartine, lui-même, qui, en reconnaissance de ce que le prince de Bénévent avait le premier célébré ses Méditations, a écrit dans ses Entretiens une apologie du personnage, ne se sent plus la force d’absoudre : « Il parvint, à force de volonté, de résolution, d’habileté, de promptitude, à renouer une coalition déjà dissoute et à faire marcher d’un seul pas l’Europe entière au secours des Bourbons. Ce fut un miracle de diplomatie, mais ce miracle était une coalition contre la France. Que d’autres l’exaltent comme diplomate et comme homme d’Etat ; nous le plaignons : une telle intrépidité, nous ne nous en sentirions pas capable[2]. »

L’écroulement subit ne se produit pas ; l’acte additionnel est voté ; une armée se forme, l’espérance renaît au cœur des patriotes. Talleyrand déclare sa mission terminée, suspend son départ pour Gand, noue des intelligences de tous les côtés, écrit au duc d’Orléans réfugié en Angleterre, fait offrir ses services à Napoléon, invoquant le passage de la proclamation impériale sur l’impossibilité de résister à certaines circonstances. A Gand on s’impatiente ; en Angleterre on remercie ; Napoléon refuse[3].

La fortune se prononce contre la cause nationale. L’armée, affaiblie de 20 000 hommes par la révolte de la Vendée, troublée par la défection de Bourmont, privée du secours de Grouchy, plie, recule, se débande à Waterloo, après avoir étonné le vainqueur par l’intrépidité épique de sa résistance. Néanmoins, le matériel de guerre était en abondance, les ressources en soldats plus considérables qu’en 1814, alors qu’avec 40 000 hommes Napoléon tenait en échec 250 000 coalisés. A certains momens de la guerre de Sept ans, lorsqu’il avait perdu même Berlin, Frédéric s’était trouvé dans une plus poignante étreinte. Beaucoup de ceux qui, en 1814, abandonnèrent Napoléon, éclairés maintenant par la récente expérience, crurent qu’il était moins redoutable que l’invasion ; qu’il fallait ne plus voir en lui que le représentant de la Révolution, le défenseur du territoire, et l’armer de la dictature. Tel était notamment l’avis de Sieyès. Dès qu’il eut appris la défaite de Waterloo, il vint voir Joseph. Il le trouva en conversation avec Lanjuinais, président de la Chambre des députés. « Lanjuinais, fit-il, Napoléon a enfin perdu une bataille. Il a besoin de nous. Allons à son secours pour qu’il chasse les barbares. Lui seul peut encore y parvenir avec notre secours. Après

  1. Notices et portraits : Talleyrand.
  2. Entretien LIX, ch. XLIV.
  3. O’Meara, Napoléon en exil.