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en remploi l’hôtel plus modeste de la rue Saint-Florentin[1]. Il revint refait, ayant gagné plusieurs millions payés par l’Autriche et les cliens au profit desquels il avait joué de la légitimité. Pour la seule affaire de Saxe le pot-de-vin fut de quatre millions[2]. Il eut quelque émoi du côté du roi de Naples. De Mons même, il avait envoyé son secrétaire Perret pour recevoir. Ferdinand se fit prier d’abord, prétextant que, lorsqu’il avait promis, la décision du congrès était déjà assurée. Cependant il s’exécuta. Il ajouta même aux traites sur la maison Baring, que Perret rapporta, le titre de duc de Dino, transmis au mari de la belle Dorothée. Avant qu’il se fût décidé pour Ferdinand, il avait touché de Murat 300 000 ducats (1 250 000 francs)[3].


VII

Pendant les Cent-Jours Talleyrand se surpassa. Napoléon, informé qu’on méditait de le déporter à Sainte-Hélène, avait pris une résolution désespérée et débarqué au rivage de Cannes. Croyant au premier moment le terrible revenant à la veille d’être anéanti sans coup férir, l’ancien grand électeur provoque[4] la déclaration qui mettait hors la loi son ancien maître et le vouait à l’assassinat. Il attise, excite, renoue la coalition hésitante. Tandis que Carnot et les patriotes républicains, auxquels la postérité a tenu compte de cette abnégation, préfèrent courir le danger de retomber sous un maître qu’ils n’aiment pas plutôt que de subir les lois de l’étranger, lui, froidement et cruellement, il organise l’invasion de son pays sans prendre aucune précaution contre les rigueurs qui la suivront. « Sans doute, a dit Mignet, qui ne lui est pas malveillant, ces mesures, auxquelles M. de Talleyrand participa, auraient probablement été prises sans lui ; mais il n’en est pas moins à déplorer, pour un Français, d’y avoir coopéré, puisqu’elles amenèrent une invasion de la France. Il y a des sentimens qui doivent être au-dessus de tout ; il y a des principes qui sont supérieurs à tous les droits et plus vrais que tous les systèmes. Le sentiment qui fait aimer son pays, le principe qui défend de provoquer contre lui les armes étrangères, sont de ce nombre. Séparer son pays du gouvernement qui le régit, dire qu’on

  1. Mémoires de Pasquier.
  2. Chateaubriand, Congrès de Vérone, t. Ier, p. 374.
  3. Rovigo, Mémoires, t. VIII.
  4. Mémoires, t. II, p. 298. — « A ma demande et, je dois le dire, pour l’honneur des souverains, sans instances, l’Europe lança une déclaration foudroyante contre l’usurpateur. C’est là ce que fut Napoléon a son retour de l’île d’Elbe. Jusque-là, il avait été conquérant. »