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négocier le Concordat et à éteindre par le pacte pacificateur le brandon de discorde allumé avec sa complicité par la constitution civile du clergé. Selon sa règle de ne pas se perdre de vue, il avait glissé sa pacification particulière dans la pacification générale et obtenu du pape sa sécularisation. Napoléon le contraignit alors à régulariser par un mariage sa liaison publique avec Mme Grand.

Partisan de l’alliance anglaise avec Mirabeau, il en devient l’ennemi avec Bonaparte. Nullement martial ni soucieux de l’expansion de la France, il eût préféré une politique de paix ; cependant il ne refusa à personne de s’adapter à une politique de guerre.

Ministre des affaires étrangères du Consulat et de l’Empire, sa sagesse se réduisit à être toujours de l’avis de Napoléon, quel qu’il fût, à l’approuver, à l’admirer, à le défendre, à devancer par le conseil le désir en formation encore indécise dans l’esprit du maître. Eût-il été étranger ou contraire à l’enlèvement et à l’exécution du duc d’Enghien, comme Cambacérès le fut, il les eût néanmoins justifiés. Mais il avait énergiquement poussé aux dernières extrémités à l’égard de l’infortuné prince. « Vers deux heures du matin, chez la vicomtesse de Laval, nonchalamment étendu dans un fauteuil, il tira lentement sa montre sans que sa voix ni son visage décelassent la moindre émotion et il dit : « En ce moment le dernier des Condé a cessé d’exister[1]. » Il n’exprimait pas une opinion de commande en répondant, le lendemain, à l’un des principaux fonctionnaires de son ministère, qui se présentait à lui la figure bouleversée : « Eh bien, êtes-vous fou ? Pourquoi faire tant de bruit ? Un conspirateur est saisi près de la frontière, on l’amène à Paris, on le fusille, qu’est-ce que cela a d’extraordinaire[2] ? » Il se défendait lui-même en s’efforçant d’établir, dans une note au duc de Bade, la légalité de l’enlèvement.

De même, il ne fut pas seulement résigné à la conquête de l’Espagne. Croyant plaire, il en suggéra le projet. C’était une des plus belles portions de l’héritage du grand roi, et l’Empereur devait le recueillir tout entier. « Il n’y a plus sur le trône, — disait-il dans un mémoire remis à l’Empereur à Fontainebleau, — qu’une seule branche de la maison de Bourbon, celle d’Espagne, qui, placée sur nos derrières quand il s’agit de faire face aux puissances d’Allemagne, sera toujours menaçante. Lors des guerres que la France pourrait soutenir soit vers le Nord, soit en Italie, elle paralyserait une partie de nos forces et serait un objet

  1. Vitrolles, Mémoires, t. I, p. 235.
  2. Mémoires du chancelier Pasquier, t. II, p. 178.