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surplus, ce qui devrait la désarmer, c’est que jamais ambitieuse n’eut plus à se louer de la fortune et n’eut le bonheur si triste : « — Je n’y puis plus tenir, je voudrais être morte ! » On sait quelle fut la réponse : « — Vous avez donc parole d’épouser Dieu le père ? »

Pourquoi miss Betham a-t-elle conçu pour Mme  de Maintenon une si implacable aversion ? C’est qu’elle a cru reconnaître dans Françoise d’Aubigné le type par excellence d’une classe de Françaises qu’elle croit très nombreuse, de celles qui mettent l’intrigue au service de la dévotion et qui ont la fureur de convertir les gens. Elle les appelle bien à tort des Françaises ultramontaines ; elle devrait savoir que désormais c’est le libéralisme catholique qui passe les monts pour aller chercher à Rome ses mots d’ordre. Quoi qu’il en soit, les dévotes agressives lui agréent peu, et elle les accuse de rendre la vie insupportable à leur mari et à leurs enfans.

À la vérité, elle n’a rien vu de pareil dans ces calmes maisons bourguignonnes où on la recevait si bien, et où les pendules étaient si lentes à sonner l’heure. Là hommes et femmes, y compris les deux belles-mères, tout le monde s’entendait en matière d’éducation, tout le monde s’accordait « à maudire les atrocités de M. Grévy et de son gouvernement. » Mais miss Betham a connu d’autres maisons où l’on jetait loin de s’entendre, où l’homme ne croyait pas, et où la femme, qui croyait, prétendait l’obliger à croire. Ces catholiques militantes, « qui enferment leur épée dans un fourreau de velours », exercent à l’entendre une souveraine autorité sur tout ce qui les entoure. Elles sont d’autant plus redoutables que, très ignorantes, « de vraies enfans par l’intelligence », elles possèdent en abondance les vertus domestiques et toutes les grâces de leur sexe. D’ailleurs elles ont à leur disposition un autre genre d’influence, tout à fait indépendant des charmes personnels. « Souvenons-nous, dit miss Betham, que la femme, la mère française est dans toutes les classes, même dans les plus pauvres, un capitaliste, dont la fortune égale ou surpasse celle de son mari ; que partant il est obligé de compter avec elle comme le chef d’une maison de commerce avec son associé, et qu’il la laisse absolument libre d’élever leurs enfans comme il lui plait. » Résiste-t-il, la discorde éclate dans les familles, elles sont en proie à la guerre ci vile des consciences.

Ici miss Betham, plus mesurée à l’ordinaire dans ses jugemens, exagère comme à plaisir. Elle oublie que dans un autre endroit de son livre elle a vanté la souplesse d’esprit et de caractère du Français. Cette souplesse l’aide à se préserver des guerres intestines. Dans les trois quarts des cas, l’homme qui ne croit pas se soumet facilement à certaines formalités religieuses, comme à des conventions mondaines, qui ont leur raison d’être et se justifient par le long usage. Du moment qu’il concède le principal et que les formes sont observées, la femme en reconnaît le droit de penser tout ce qu’il veut. La