Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur déclaration que pour se donner le temps de faire leurs préparatifs. » Si cela est vrai, répliquai-je, ils nous ont rendu un service, puisqu’ils nous ont donné, par ce délai, le temps d’achever les nôtres, de prendre toutes les précautions que les circonstances rendent nécessaires et de n’oublier aucune des mesures propres à assurer le succès d’une guerre que la nation anglaise entreprendrait contre ses véritables intérêts.

« Quant aux alliances, continuai-je, que le roi d’Angleterre veut augmenter en Allemagne, elles ne pourraient jamais égaler celles du roi, puisque celle qu’il a avec Votre Majesté est fondée sur des principes qui doivent la rendre éternelle. Il me dit alors : « Savez-vous, monsieur, le parti que je prendrais dans les circonstances présentes si j’étais roi de France ? Je ferais marcher, dès que la guerre sera déclarée, ou que les Anglais auraient commis quelque hostilité contre la France, un corps de troupes considérable en Westphalie ; je le ferais tout de suite entrer dans l’électorat de Hanovre ; et c’est le moyen le plus sûr de faire chanter ce c… » (le roi de Prusse qualifia le roi d’Angleterre d’une épithète qu’il est inutile de vous redire), puis il gagna son cabinet et me laissa seul dans son appartement[1]. »

On croira peut-être que ce n’était là qu’une boutade irréfléchie, et que, si Frédéric se retirait si promptement après l’avoir laissée échapper, c’est qu’il craignait d’en avoir trop dit. Nullement, et à la même date il donnait au même conseil un caractère tout à fait officiel en en faisant le sujet d’une instruction formelle adressée à Knyphausen : « Si la guerre est inévitable, lui écrivait-il, il ne faut plus douter alors que le roi d’Angleterre veuille la rendre générale, sur quoi il m’est venu une idée, s’il ne conviendrait pas à la France, supposé que ce prince lui déclare la guerre, d’envoyer alors d’abord un corps de troupes assez respectable tout droit au pays d’Hanovre pour s’en emparer et de demander à ce prince s’il n’aimera pas à rétablir la paix (sic). Quoique je voudrais bien que vous fassiez quelque insinuation à M. de Rouillé à ce sujet, il faut néanmoins que vous la fassiez bien adroitement et avec tous les ménagemens possibles pour ne pas donner lieu à ce ministre de supposer que je voudrais augmenter l’aigreur entre la France et l’Angleterre. Mais au cas que cette insinuation sache se faire par vous, vous ajouterez que, pour que la France puisse faire une pareille entreprise avec succès, il faudrait que cela se fît incontinent après la déclaration de guerre du roi d’Angleterre, et sans biaiser, avant que celui-ci puisse

  1. La Touche à Rouillé, 5 avril 1755 (Correspondance de Prusse : ministère des Affaires étrangères).