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d’un commerce agréable ; on cause, on s’explique, on se fait des concessions réciproques sur la relativité des théories. Et tandis qu’un coryphée du socialisme accueille les objections de ses adversaires, on se prend à penser que quelques-uns de ces derniers s’appelaient, au temps de mon enfance, les irréconciliables ; que leur sagesse a mûri depuis lors, et qu’il y a au fond du cœur de tout irréconciliable un opportuniste qui sommeille.

Un examen plus prolongé nous permettra de compléter ces notes sommaires. Elles ne seront pas inutiles, si l’on y peut discerner quelques-unes des causes de l’anémie parlementaire ; et si elles persuadent le lecteur « qu’il ne serait pas juste d’accuser la bonne volonté ou l’intelligence de cette Chambre, » comme le disait un rédacteur du journal le Temps, corrigeant ainsi le jugement peu flatteur qu’il portait sur notre œuvre, au soir de notre séparation : « La session législative qui vient de se clore laisse dans l’esprit l’impression d’une longue période d’agitations vaines et d’un grand labeur inutile. Les députés doivent rentrer chez eux avec un profond sentiment de mélancolie… La session n’aura pas été à l’honneur du régime parlementaire. Il est apparu, durant sept mois, comme une grosse machine poussive et grinçante, lançant des torrens de feu, de fumée et de bruit, sans arriver à produire un résultat pratique de quelque importance. »

Pauvre régime parlementaire ! Nous voici loin de l’enthousiasme qu’il suscitait au début, quand le citoyen Rolland, ingénieur, créole et astronome, offrait à l’Assemblée législative, le 26 avril 1792, son Traité de l’équilibre universel. La lettre d’envoi comparait la représentation nationale à la Providence divine : « Je me suis attaché surtout à faire distinguer la conformité du système céleste avec le système moral de nos sages législateurs… Nos législateurs français n’ont d’autre but que d’imiter la sagesse divine, et leur intelligence, leur activité, leurs soins continuels ne tendent qu’à verser sur chaque citoyen de cet immense empire une félicité, une liberté et une prospérité sans égales… »

Il y a du chemin parcouru et de la fatigue entre ces deux appréciations. A nous de pourvoir, si nous ne voulons pas que les prochains jugemens soient des épitaphes.


EUGENE-MELCHIOR DE VOGUE.