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étages. Au sommet, le fauteuil présidentiel, sur une plate-forme où se tiennent le secrétaire général de la Chambre et ses employés, contre un mur tout machiné de téléphones et de tubes d’appel. Plus bas, des deux côtés du siège présidentiel, les députés secrétaires ; au-dessous de ce siège, la tribune, ses deux escaliers d’accès, son tapis vert, sa façade de marbre où une dame à mi-relief écrit sur des tablettes, vis-à-vis d’une autre qui joue de la trompette : l’Histoire et la Renommée, je suppose. Au pied et dans les angles de la tribune, des rédacteurs-sténographes, des huissiers toujours en mouvement. Deux portes vitrées, munies de tambours latéraux, grandes ouvertes quand la séance est levée, fermées tant qu’elle dure, servent de dégagemens aux deux extrémités de la salle. L’une de ces issues est usuelle pour les députés de la droite, l’autre pour les membres de la gauche. Une architecture moins sévère se serait inspirée des vers fameux de Virgile sur les deux portes du Tartare : « L’une de corne, qui offre un accès facile aux ombres des vrais morts ; l’autre d’ivoire, par où s’échappent dans les airs les fantômes mensongers des cauchemars… »

Une impression dominante m’est restée de ma première visite dans cette salle : il n’y a pas de fenêtres. Je n’ignorais pas qu’il en devait être ainsi, et qu’à la Chambre, comme au théâtre, la destination même de l’édifice exige une enceinte continue, sans jours sur l’extérieur. Et pourtant cette remarque attendue, banale, me hantait comme le détail le plus caractéristique du monument : il n’y a pas de fenêtres. Aucune communication avec le dehors, avec l’air libre. Il semble que cette épaisse muraille circulaire, hermétiquement close, fasse de la salle des séances une machine à air comprimé, qu’elle y favorise la formation d’une atmosphère particulière peu renouvelable. La clarté ne pénètre que par le plafond vitré ; on se dit involontairement que pour changer l’air, pour recevoir les bruits du dehors et y répondre, il peut être nécessaire de briser ces vitres. Quand je fis cette première visite, on était en pleines vacances ; des tapissiers battaient les coussins des banquettes, d’où s’élevait une vieille poussière, tous les microbes emmagasinés sous nos prédécesseurs. Il eût été bien fermé au symbolisme, celui qui n’aurait pas aperçu dans cette poussière les vieux mots usés, vides de sens, les signes déformés du langage politique, qui ne correspondent plus aux choses réelles et sont les pires ennemis de notre jugement ; mots fétiches, qui remplacent un argument et permettent à une idée fausse de s’incruster dans l’esprit ; mots épouvantails, qui empêchent une idée juste d’y entrer.

Au point de vue de l’ancienne topographie politique, la salle