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démontré aux plus aveugles la nuisance et le mensonge du présent système.

C’est une noble maxime de la liberté américaine que « nul ne doit aller jusqu’au bout de son droit. » L’intérêt bien entendu de leur situation conseille aux bimétallistes intransigeans des États-Unis de ne pas aller jusqu’au bout de leurs fautes. Aucune puissance humaine ne saurait faire que l’argent n’ait pas baissé de 50 pour 100. L’habileté consisterait à subir de bonne grâce une nécessité qui s’impose, afin d’en tirer le meilleur parti possible. Les fortunes acquises dans les bonanzas minières, grâce à des circonstances heureuses et à des légalités diverses, n’en souffriraient pas, et l’indépendance respective des deux numéraires métalliques deviendrait le nouveau départ, new departure, qui ouvrirait à l’un comme à l’autre une carrière honorable, et ramènerait les choses à l’ordre normal.

Mais, en pareilles conditions, l’argent monnayé ne serait plus qu’une simple marchandise. — Pourquoi pas ? de même que l’or après tout, qui doit être considéré comme telle à certains égards. La monnaie blanche ne fût-elle qu’une marchandise, les propriétaires de mines réaliseraient encore d’assez fructueux bénéfices en se faisant marchands de monnaie au cours du jour.

Les cours remonteraient d’ailleurs naturellement. Car l’appât lucratif de l’échange contre espèces jaunes n’attirerait plus sur le marché une surabondance de métal blanc qui le déprécie. L’intérêt du producteur, d’accord avec la loi de l’offre et de la demande, réglerait la production d’après les besoins.

S’il faut réellement aujourd’hui dans la circulation une quantité de monnaies blanches équivalente à la somme que représente leur valeur nominale, il faudrait deux fois autant de métal blanc pour parfaire une somme identique à l’aide des monnaies nouvelles, estimées à leur valeur vraie. Les propriétaires de mines vendraient donc le double de métal : l’augmentation du chiffre des affaires compenserait partiellement la baisse des prix.

Si au contraire cette quantité de monnaies blanches est inutile, et ne sert qu’à encombrer les caisses publiques en faveur de quelques intérêts privés, les propriétaires des mines d’argent seraient encore mal venus à se plaindre. En vertu de quel principe, parmi tous les producteurs nationaux, auraient-ils seuls le droit à la vente, comme on disait le droit au travail, en d’autres termes le droit de vendre ce que personne ne demande à acheter ?

Mettons les choses au pire ; il faut savoir sacrifier la moitié pour sauver le reste : c’est encore un adage de la sagesse américaine. Le tout-puissant syndicat ferait bien d’y réfléchir. Un