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ouvertement, à l’aide d’une sorte d’alchimie officielle, où le papier fiduciaire tenait le rôle d’intermédiaire complaisant, sinon de complice.

Les conséquences fâcheuses de cette politique financière ne se sont pas fait attendre : l’or américain émigré de plus en plus vers l’Europe. Si le trésor fédéral n’avait pas la ressource de le recouvrer en partie par l’acquittement des droits de douane payables en or, et de réparer ainsi le déficit toujours croissant de son encaisse, le précieux métal disparaîtrait bientôt de la circulation dans le pays même d’où il provient.

Heureusement pour les États-Unis, « un homme s’est rencontré », le président Grover Cleveland, qui a déjoué ces manœuvres. Non content d’avoir obtenu des Chambres, par ses pressans appels, l’abrogation de la loi Sherman, il a opposé un courageux veto au dernier bill monétaire (sur le seigniorage), dont la mise en vigueur eût compromis les finances américaines. Grâce à la prudence et à la fermeté du président, la situation actuelle est sauve. Doit-on croire le péril définitivement écarté ? M. Cleveland a pour lui les gens éclairés qui demandent à juste titre une sound currency, une saine et honnête circulation de monnaies, sans spécifier toutefois comment ils l’entendent. Mais de toutes parts s’élèvent les protestations des silveristes et de leurs alliés, dont le retour offensif n’est que trop facile à prévoir. La crise, provisoirement enrayée, éclatera de nouveau à la première occasion. M. Bland n’a-t-il pas riposté au veto présidentiel en réclamant déjà le rétablissement de la frappe libre ?

Tant que subsistera la tentation permanente d’un bénéfice énorme à réaliser sous le couvert d’une loi populaire et d’apparence inoffensive, il se trouvera toujours des politiciens pour la proposer, ainsi que des compères et des naïfs pour l’accueillir. Sans doute les Américains auront encore le veto. Auront-ils l’homme ?

Dans cette question irritante du bimétallisme, nous ne sommes pas engagés, comme les États-Unis, par de gros intérêts directs, qui nous sollicitent à courir pareilles aventures, et nous ne possédons pas non plus les mêmes ressources constitutionnelles pour y échapper. Quelle étrange forme de l’atavisme, ou quelle superstition mystérieuse nous attache donc à un système dont l’effet fatal, constaté par l’expérience, est de sacrifier la bonne monnaie à la mauvaise ? Un petit nombre d’intermédiaires en profitent. Serait-ce leurs profits qu’il importerait de sauvegarder ? Quelques États, dont les monnaies sont avilies et les finances avariées, bénéficient du change à l’exportation, et certaine école se plaît à montrer qu’ils conservent ainsi l’avantage dans les