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c’est-à-dire de se libérer à moitié prix ? Qui paie ses dettes s’enrichit, affirme le proverbe. Les producteurs de toutes catégories, encore abusés par un vieux préjugé économique, se persuadent aisément que la multiplication du numéraire inférieur relèverait le cours des produits et grossirait d’autant leurs bénéfices.

Quant à la masse du public, qui confond volontiers l’augmentation du stock métallique avec l’accroissement de la richesse générale, le terme prestigieux d’inflation exerce sur son imagination éblouie une fascination irrésistible. Comme si l’insufflation monétaire et fiduciaire figurait aux yeux de la foule, dans une apothéose féerique, le gonflement de quelque ballon gigantesque, destiné à porter aux nues la fortune des deux Amériques.

Ce syndicat des ignorances, des erreurs, et des intérêts s’efforce d’assurer le triomphe définitif du silverism, autrement dit le règne de la monnaie blanche, la douce monnaie, soft money, dont la vraie douceur, goûtée surtout par les propriétaires de mines, consiste dans son infériorité même, qui permet de la convertir en or avec un profit de 50 pour 100.

Nous n’entrerons pas dans le détail des combinaisons diverses que les meneurs du parti ont réussi à faire adopter. L’une des plus ingénieuses, le Sherman bill, qui fonctionna pendant trois ans, imposait au gouvernement fédéral l’obligation d’acheter périodiquement un gros stock d’argent, inutile d’ailleurs à ce point que les caves existantes ne suffisaient plus à l’emmagasiner, et d’émettre, comme contre-partie, pour une somme équivalente au prix d’achat, des bons du Trésor, convertibles en numéraire or ou argent, au gré du porteur. Il s’agissait ensuite d’obtenir que tous les lingots ainsi achetés fussent frappés en dollars d’argent d’une valeur nominale supérieure environ de moitié à leur valeur réelle, et toujours échangeables au pair contre espèces d’or. N’oublions pas d’autre part les certificats d’argent, payables seulement en monnaie blanche. Ce mécanisme compliqué, cet enchevêtrement de métaux, de papiers, de monnaies bonnes et avilies, avait pour objet d’assurer aux produits des silveristes un débouché permanent, de préparer les voies à une circulation d’argent presque unique, sans compter les profits immédiats et palpables de l’opération, soit l’échange d’une valeur réelle de 2 fr. 50 d’argent, représentée par le dollar blanc, contre une valeur réelle de 5 francs d’or, représentée par le dollar jaune.

Du coup, la transmutation des métaux, vainement essayée par les alchimistes du moyen âge, était dépassée. Le grand œuvre des temps modernes s’accomplissait sans frais ni risques,