Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chefs-d’œuvre que ses prédécesseurs nous ont légués en ce genre. Que de manifestations diverses ils nous offrent, en effet, de toutes les ressources de cet art et des merveilles qu’il a produites ! Que d’acceptions de la vie, variées, intéressantes par ce que ces artistes nous ré vêlent d’eux-mêmes, autant que par ce qu’ils nous apprennent de leurs modèles ! En voici, comme Raphaël ou Titien, qui, avec des moyens bien différens, l’un par l’ampleur et la force expressive de son dessin, l’autre par la magnificence ou l’éloquente sobriété de sa couleur, font également paraître le grand style et la noble simplicité de leur art, en même temps qu’ils nous renseignent sur tant de souverains et de grands seigneurs qui ont été leurs patrons ou leurs amis. Quelle n’est pas la perspicacité incisive et la franchise courageuse, parfois même brutale, d’un Antonio Moro pour faire revivre ainsi sous nos yeux les temps troublés où il a vécu, en évoquant dans des œuvres inoubliables les cruelles images d’un duc d’Albe ou d’une Marie Tudor ! Que dire de la virtuosité clairvoyante d’un Frans Hals, de cette généreuse et puissante compréhension de la vie qui déborde chez Rubens, de la rapidité et de la sûreté de son coup d’œil, de cette mâle facilité d’une prodigieuse exécution où l’on retrouve comme un reflet de toutes les énergies, de toutes les ardeurs qui sont en lui ? Quel charme encore dans ces nombreux portraits où Van Dyck, ainsi que l’a si justement remarqué Fromentin, mêle à son insu « quelque chose des grâces de sa personne ; un air plus habituellement noble, un déshabillé plus galant, un chiffonnage et des allures plus fines dans les habits, des mains plus également belles, pures et blanches[1], » toutes les séductions, tous les raffinemens de ce cosmopolitisme élégant qui après avoir, de son temps, conquis la faveur de toutes les cours, nous ravit encore aujourd’hui ! Et en dépit de l’individualité si franchement accusée de ses portraits, Rembrandt, le grand magicien, n’ajoute-t-il, lui aussi, à leur exacte ressemblance quelque chose qui la dépasse et nous fait retrouver en eux, avec les aspirations ou les tristesses du maître, toutes les passions, tous les troubles qui nous agitent nous-mêmes, toutes les mystérieuses résonances de ses sentimens dans nos propres âmes !

Mais jusque chez celui-là même qui paraît s’être le plus effacé pour ne laisser paraître que ses modèles, chez Holbein, dont la sincérité, il faut le reconnaître, égale celle de Velazquez, quelles différences profondes entre leur manière de pratiquer cet art difficile, et, avec des qualités communes, combien de traits distinctifs ! Tandis que le premier, avec son esprit d’analyse méticuleuse,

  1. Les Maîtres d’autrefois, p. 149.