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maisons eurent pris quelque consistance, elle ne se gênait pas pour faire la révérence à l'image de son royal fiancé, en disant à ses dames d'honneur : « Je salue mon futur époux. » Sans parler des répliques, différentes par le costume, que possèdent le musée de Vienne et la galerie Lacaze, le portrait en pied qui, après avoir fait partie de la collection de Morny, appartient aujourd'hui à Mme Lyne Stephens[1], nous paraît un des plus charmans ouvrages de Velazquez. Vêtue d'une robe noire garnie de passementeries en damiers, sur laquelle est rabattue une large collerette en guipure, la jeune princesse se tient debout près d'une chaise et caresse de la main droite les longues oreilles d'un petit chien à la mine effrontée, blotti contre le dossier du siège. Le visage, très finement modelé, est d'une fraîcheur extrême, et l'expression du regard profond et velouté paraît fort au-dessus de son âge. Les portraits de l'infante Marguerite, — le premier enfant du nouveau mariage de Philippe IV avec sa nièce, — sont encore plus nombreux : on n'en compte pas moins de sept, exécutés d'année en année, pour satisfaire à la fois le couple royal et les grands parens de la cour de Vienne. Celui que possède le Louvre, peint probablement pour Anne d'Autriche et qui fait aujourd'hui l'ornement du Salon carré, est bien connu de tous ; et nous ne comprenons pas comment M. Justi, mieux informé d'ordinaire, en conteste l'authenticité et croit y reconnaître la main de Mazo. La possession déjà ancienne, la distinction de cet ouvrage, et plus encore son mérite propre nous paraissent, au contraire, confirmer de tout point l'attribution à Velazquez. Sans doute l'exécution est poussée plus loin que d'habitude ; mais le travail, pour être plus serré, n'en est que plus accompli. On y sent toute la franchise et la science d'un maître et non la timidité d'un copiste. La finesse extrême du modelé, surtout aux joues, au front et aux tempes, la nature même des carnations, fraîches mais un peu molles, l'expression très personnelle de ce visage menu, souffreteux, un peu soufflé ; cette mine de petit animal inquiet, la largeur et le goût délicat du costume blanc agrémenté de rubans rose pâle, le brouillard léger de cette chevelure d'un blond soyeux, ce mélange heureux de largeur et de précision, de conscience et de liberté, tout ici révèle la main de Velazquez et nous paraît, comme à beaucoup d'excellens juges, consacrer un de ses meilleurs ouvrages.

Enfin, le musée de Vienne nous offre le portrait d'un fils dont la naissance suivit, un peu plus de six ans après, celle de l’infante Marguerite, le jeune prince Philippe-Prosper, le futur héritier

  1. Il figurait à l'Exposition du Palais-Bourbon en 1874.