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sans vouloir prendre eux-mêmes aucune décision, avaient envoyé à Madrid les pièces qu’ils avaient recueillies, laissant au Conseil le soin de trancher lui-même la question. Soit qu’il y eût sous roche quelque jalousie, soit qu’en prolongeant l’information on voulût en augmenter les frais, l’issue semblait un peu douteuse. On commençait même à parler de la nécessité d’une seconde enquête, quand le roi, perdant patience, fit savoir « qu’on devait s’en tenir là et que pour lui les preuves de la noblesse étaient faites. » Dans sa séance du 2 avril 1659, le Conseil admit la parfaite dignité du candidat, et, les dispenses du pape étant arrivées le 29 juillet suivant, le peintre reçut enfin les insignes de l’ordre, avec le cérémonial accoutumé.

En sa qualité de maréchal du palais, Velazquez avait eu déjà souvent à s’occuper de l’arrangement des œuvres d’art qui entraient dans la décoration des résidences royales. Le roi ayant ses idées à cet égard et les constructions nouvelles qu’il ne se lassait pas d’élever obligeant à des remaniemens réitérés, la tâche était parfois assez difficile. L’achèvement de l’Escurial, devenu pour Philippe IV, vers la fin de son règne, l’objet d’une préoccupation passionnée, allait bientôt fournir à l’artiste l’occasion d’exercer son activité et son goût. Son maître avait mis à sa disposition de nombreuses toiles destinées à la décoration des vastes salles de la sacristie réservée au chapitre de l’Escurial. Ces tableaux, pour la plupart très remarquables, provenaient d’acquisitions faites en Italie, en Allemagne, dans les Flandres et surtout en Angleterre, à la vente de la galerie de Charles Ier. Ce malheureux souverain avait été autrefois l’hôte de Philippe IV, et sa fin tragique semblait elle-même donner quelque convenance au projet de réunir les épaves de ses collections dans ce triste palais de l’Escurial, destiné à servir de sépulture aux princes de la maison d’Espagne. L’ensemble des 41 tableaux donnés par le roi comprenait des chefs-d’œuvre de premier ordre, de Raphaël, Corrège, Tintoret, Paul Véronèse, Vander Weyden, Ribera, Caravage, et qui font aujourd’hui la principale richesse du Prado[1].

C’est à ce propos que Velazquez, à qui était confié le soin de disposer ces tableaux dans la sacristie, en fit, sous forme de mémoire, une sorte de catalogue descriptif avec les indications de leur provenance, de leurs auteurs, de la place qui leur était réservée, et quelques appréciations sommaires sur leur mérite

  1. Un certain nombre cependant, et parmi eux des tableaux d’un grand prix, comme le grand Crucifiement de Van der Weyden et le Lavement des pieds de Tintoret, sont demeurés a l’Escurial où, après les injures du temps, ils ont récemment souffert d’indignes restaurations et de repeints, ouvrage d’un conservateur assez naïf pour avoir tiré gloire de ce vandalisme dans des inscriptions placées au bas des œuvres ainsi maltraitées par ses soins.