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conféré à des artistes. Le roi lui en accorda la dignité le 12 juin suivant ; mais, avant d’en porter le titre et le costume, le nouveau chevalier avait à s’acquitter de deux formalités préalables : fournir les preuves de sa noblesse, et obtenir du pape les dispenses nécessaires à cause de son mariage, le célibat étant une des conditions imposées par les statuts de l’ordre. Les preuves de noblesse devaient être soumises à l’appréciation d’un comité formé des principaux dignitaires de cet ordre[1] et le candidat avait à justifier de la pureté du sang de ses ancêtres jusqu’à la quatrième génération, c’est-à-dire d’une extraction chrétienne, sans aucun mélange de races avec les Juifs, les Maures ou les convertis. Il lui fallait prouver que depuis lors sa famille n’avait exercé aucun trafic ni aucune profession manuelle ; il devait également posséder un cheval, être bon cavalier et n’avoir jamais, en quoi que ce fût, forfait à l’honneur. De plus, les frais, sans être l’objet d’un tarif régulier, étaient considérables : 200 ducats à verser pour la caisse du chapitre ; 200 écus pour le trésor royal, et plus de 50 pour le secrétariat, sans parler des dépenses relatives à l’instruction de l’affaire[2].

Une des premières difficultés avait trait à la situation particulière de Velazquez et à sa profession de peintre. Il semble que sur ce point le Conseil de l’ordre n’eut pas, au début de l’enquête, une conviction bien nette. Les témoignages recueillis attestaient, il est vrai, que l’artiste n’avait tiré aucun profit pécuniaire de ses œuvres. « C’était chez lui une grâce de plus, un talent et non un métier, dit une des dépositions ; il n’a jamais exercé les fonctions d’expert, ni tenu un atelier, ni fait aucun commerce, pas plus à Séville qu’à Madrid. » D’autre part, Alonso Cano et Zurbaran affirment, en bons confrères, qu’il n’a jamais vendu ses tableaux et qu’il n’a jamais peint que pour le plaisir de Sa Majesté. Sans doute, en pressant un peu la réalité des choses, on aurait pu découvrir que ce n’était point là l’expression absolue de la vérité ; mais le fait que le roi avait jugé Velazquez digne de l’honneur auquel il aspirait parut une présomption suffisante au Conseil, et il se tint pour satisfait sur ce point. Il devait montrer plus d’hésitation au sujet des titres que le candidat avait à produire sur sa noblesse. Deux commissions avaient été nommées à cet effet pour fonctionner, l’une près des frontières du Portugal, d’où la famille paternelle de l’artiste était originaire ; l’autre à Séville, où était née sa mère. Les membres de cette dernière commission,

  1. Justi, II, p. 230 et suiv.
  2. Les pièces de la procédure, conservées aux archives de Madrid, ont été publiées par M. Cruzada Villaamil dans la Revista Europœa ; Madrid, 1874, II, passim.