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M. Justi, à qui j’emprunte ces détails, trace un tableau lamentable des soins minutieux et parfois répugnans qu’entraînaient ces diverses fonctions. La propreté n’était guère en honneur à cette époque, et par ce que nous savons de la mauvaise tenue de nos résidences royales sous Louis XIV et même sous Louis XV, nous pouvons juger de ce qu’étaient les choses en Espagne. Dans le palais de Madrid, la vue n’était pas plus ménagée que l’odorat, même aux abords de la chapelle ; et il serait difficile de rapporter ici ce que les chroniques du temps nous apprennent à ce sujet. Velazquez eut grand’peine à obtenir sur ce point une amélioration d’ailleurs toute relative. En hiver, le sol des corridors était garni d’une véritable litière, et quand Philippe IV allait faire ses dévotions dans quelque église de la ville ou des environs, on devait également y faire porter des paillassons. Puis c’étaient les garnitures des lits royaux ou des sacs remplis de paille sur lesquels couchaient les gardes qu’il fallait renouveler. La domesticité était innombrable, et l’on possède les notes de toutes les fournitures de linges, de torchons et de brosses pour le nettoyage des chambres ou de la chapelle du palais. En voyage, un charpentier et ses aides suivaient la troupe des serviteurs pour confectionner aux étapes désignées les meubles les plus indispensables. Ces voyages périodiques de la cour pour se rendre aux résidences d’été, aux réunions des Cortès dans les provinces, ou aux camps, occasionnaient des dépenses et des pertes de temps considérables. Quant à l’incommodité de ces voyages, on ne saurait s’en faire une idée. « Tout au plus, dit un contemporain, trouve-t-on un toit au-dessus de la terre nue[1]. » Ustensiles de cuisine et de table, literie, tapisseries, chaises, vaisselle et mobilier, il fallait tout emporter avec soi, à des de mules, car pour ces transports on n’avait ni cours d’eau, ni canaux, mais des routes à peine tracées, au milieu de contrées qui ressemblaient au désert. Les ambassadeurs ne tarissaient pas en plaintes à ce sujet, et les plus fortes constitutions ne résistaient pas toujours à de telles fatigues. Les Espagnols eux-mêmes avaient besoin de quelques jours de repos après de pareils voyages, avant de reprendre leur vie accoutumée. Giustiniani mettait cinquante jours pour aller en novembre et décembre de Toulouse à Madrid, où il mourait à peine arrivé. « Il n’est pas de fortune privée, dit un Vénitien, qui permette de suivre le roi en campagne : tout coûte trois ou quatre fois autant qu’en Italie. Un de ces voyages absorbe à lui seul les revenus de toute une année, et en hiver les voitures doivent

  1. Dépêche de Niccolo Sagredo du 16 avril 1641.