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de côtés, des salons de France de la meilleure époque, le salon de Mrs J.-T. Fields. Parler de Mrs Ward Howe, de Mrs Agassiz, de miss Ticknor, de Mrs Fields, c’est parler du mouvement social, de la culture, de la pédagogie, de la poésie, de la charité à Boston ; elles en sont les représentantes, et comme telles doivent accepter la notoriété publique qui s’attache à leur personne. J’espère donc n’être point taxée d’indiscrétion en faisant pénétrer le public étranger dans un bureau d’esprit de l’originalité la plus délicate, maison unique en son genre. Tout y paraît dédié aux lettres : on ne peut s’en étonner, Mrs Annie Fields étant la veuve du grand éditeur James Fields, qui fut l’ami des plus célèbres écrivains de son temps en France et en Angleterre, et qui a laissé des témoignages précieux de son intimité avec eux tous, notes biographiques, esquisses, conversations, correspondances : Biographical notes and personal sketches, Yesterdays with authors. Leurs portraits couvrent les murs de ce petit temple du souvenir, où une femme infiniment distinguée conserve avec soin tout ce qui pour elle représente un passé de pur bonheur intellectuel. Les richesses de la bibliothèque, qui envahit deux étages de son étroite et délicieuse demeure, comptent, avec une collection d’autographes presque innombrables, parmi les trésors dont elle se montre le plus justement fière. Quant à ses propres travaux, elle met souvent un excès de pudeur à les cacher. Ces travaux intermittens, qui sont comme une broderie rare sur la trame des œuvres philanthropiques dont elle est par-dessus tout occupée, emportent de préférence Mrs Fields vers l’antiquité grecque. Il y aurait même de curieux rapports à noter entre les tendances de son talent et le caractère de sa beauté que les années n’ont fait que spiritualiser sans la détruire. Cette Athénienne de Boston vit en compagnie d’Eschyle et de Sophocle, traduit la Pandore de Goethe, cet autre Grec des pays septentrionaux ; le Centaure de Maurice de Guérin, qui, chez nous, avait goûté aussi au miel de l’Attique ; et elle figurera pour son propre compte dans les anthologies de l’avenir, ne fût-ce qu’avec le poème de Théocrite[1], sans parler des documens qu’elle rassemble sur ses amis disparus. Ce fut ainsi que l’an dernier vit le jour une biographie vivante et charmante de Whittier, le poète quaker. Prose et vers semblent jetés négligemment par Annie Fields, quand l’inspiration la presse, sur les feuilles volantes qui couvrent le bureau du tout petit cabinet de travail, sans prétention, communiquant par une baie ouverte avec le salon où tant d’illustres visiteurs se sont

  1. Under the Olive, 1 vol. ; Boston.