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avec émotion, car il y avait là des gens qui se souvenaient d’avoir fait la guerre, d’autres qui se rappelaient des deuils remontant aux quatre années qu’a remplies cet hymne belliqueux môle à la sonnerie des charges et au bruit du canon. Avant que ne s’éteignît la dernière strophe qui adjure les hommes de mourir pour la liberté, comme pour eux mourut le Christ, j’avais compris que l’Amérique possédait une Marseillaise conforme à son tempérament et dont l’auteur était une femme, émule de Mrs Beecher Stowe. Mrs Stowe, du fond d’un presbytère de campagne, avait frappé mortellement l’esclavage en écrivant le livre fameux dont le retentissement devait être universel ; Mrs Howe, à son tour, jeta au milieu des combats qui suivirent un chant grave et religieux qui depuis est resté pour le Nord vainqueur le chant national.

Ma surprise fut grande lorsque je rencontrai par la suite l’auteur du Battle hymn. Je m’attendais à voir une vieille femme, — la date de sa naissance, 1819, étant dans toutes ses biographies, — et je ne sais pourquoi je lui prêtais aussi l’air d’autorité un peu masculine qu’ont beaucoup de femmes fortes. Je vis une fraîcheur de teint, de regard, de sourire tout à fait extraordinaire. Elle s’habille sans la moindre excentricité, elle a des manières simples et parfaites, sa voix très douce est l’une des mieux timbrées que j’aie entendues jamais. Si d’aventure Mrs Howe se fût avisée de prêcher des doctrines subversives, elle eût été bien dangereuse, tant sont puissans chez elle le tact et le charme qui permettent de tout oser. Je la saluai dans son empire, le club des femmes de la Nouvelle-Angleterre dont elle est présidente. Il y a vingt-cinq ans que ce club fut fondé pour donner un lieu de réunion aux nombreuses dames qui habitent les environs de Boston et qu’une affaire quelconque appelle en ville ; ceci conduisit à l’institution d’une séance hebdomadaire où se discutent des sujets divers : art, littérature, éducation, etc. Ces exercices prirent une importance croissante à mesure qu’augmentait le nombre des membres ; souvent des orateurs, venus du dehors se mêlaient aux débats.

Le lundi de novembre où je pénétrai dans le local vaste et commode de Park Street, il n’offrait rien qui suggérât une idée de pédantisme ou d’apprêt. On se serait cru à un jour de réception dans une maison particulière ; point de plate-forme, une table à thé bien servie. Les 230 membres n’étaient pas présens, à beaucoup près, mais il y avait là cependant une réunion nombreuse dans laquelle figurait un homme, l’unique survivant du groupe de grands esprits masculins qui dès le commencement se rattachèrent au club comme membres honoraires. Les femmes les plus distinguées de la ville entraient les unes après les autres, et Mrs Howe